Problématique :
Le confinement, lorsqu'il nous a été annoncé comme étant obligatoire, il nous a en partie surpris.
Assez rapidement nous nous sommes préoccupés de l'échéance : jusqu'à quand devons-nous ne plus aller
travailler, jusqu'à quand ne devons nous plus revoir ceux que nous avons l'habitude de rencontrer
(collègues, amis, voisins ). Cette date de fin de confinement qui est restée floue, nous a inconsciemment
poussé à nous installer progressivement dans une sphère strictement privée et à tenir, à vivre, uniquement
par elle.
Les premières paroles ont été : “on va profiter de notre couple et de nos enfants”. Certains ont même
réfléchit aux membres privilégiés avec qui ils voulaient se confiner : ex-conjoint, petit ami, belle-famille,
frères et soeurs.... ! Nous avons donc, au départ, accueilli facilement le repli sur la sphère privée, puisque
parfois nous avons même cherché librement avec qui nous voulions nous confiner.
Malheureusement vous avez sans doute entendu, par les médias, que ce repli sur la sphère privée,
a largement déclenché, au niveau national, des violences conjugales et intra-familiale. Ce soir, cette
réalité ne sera pas abordée. Cela fait quelques années que je m'investis beaucoup sur les violences
conjugales et aussi sur celles qui touchent les enfants. Mon cabinet qui est resté ouvert pendant le
confinement a maintenu des heures d'accompagnement pour les personnes touchées par cette violence.
Sur Nantes et Paris, nous avons été plusieurs professionnels a proposer nos services, afin de désengorger les lignes d'appels
consacrées aux violences conjugales et familiales. Mais ce problème complexe mériterait pour lui seul
une soirée/débat, donc je n'en parlerai pas ce soir.
Dans cet article, nous souhaitons vous proposer un temps de réflexion sur les inconforts psychologiques par
lesquels nous sommes passés, même si nous avons la chance de ne pas être concernés par la violence
privée. Le but est de comprendre que les moments pénibles, voire éprouvants, que nous avons connus,
nous ne devons pas les banaliser. Peut-être pourront-ils être adoucis par la foi si nous sommes croyants,
mais ils sont, je crois, avant tout, l'occasion nécessaire de faire attention à nous humainement. Les
moments sensibles ou éprouvants ,que je vais évoquer et dans lesquels vous vous retrouverez sans
doute, nous devons leur donner un peu de notre attention pour qu'ils nous rendent service. Pour qu'ils nous
permettent de comprendre nos difficultés personnelles et humaines, afin que nous soyons un peu plus
attentifs à nous-mêmes. Que nous nous préoccupions d'y trouver des solutions, par respect pour nous-
mêmes, qu'il y ait ou non un prochain confinement. Il s'agit de chercher un temps de respect et de
considération pour soi, ce qui n'a rien à voir avec un narcissisme malsain. Bien loin de là.
J'ai choisi 5 expériences que nous avons vécues. Il y en a d'autres, mais ces cinq-là ont causé ou
bien de l'anxiété à degrés variables ou de la tristesse et en plus elles étaient les plus imprévisisbles, celles
que l'on ne pensait pas pouvoir vivre parce que nos habitudes de vie, avant le confinement, ne nous
permettaient pas de nous rendre compte de nos insécurités ou de nos inquiétudes intérieures.
La première (3) c'est la difficulté à ressentir de la proximité sans présentiel. Avant le confinement,
et depuis des années, nous sommes habitués à communiquer avec les gens que nous connaissons, à
distance : téléphone, sms, message internet, parfois même webcam. Donc cela n'aurait absolument pas dû
nous poser de problème de continuer comme cela, pendant le confinement. Vos enfants qui sont à Paris ou
ailleurs, vous ne pouvez pas les voir souvent, donc vous vous téléphonez le plus régulièrement possible, or
ils vous ont manqué encore davantage que d'habitude, pendant le confinement. Pourquoi ? Des exemples comme
cela on peut en trouver beaucoup. Le grand-parent qui est en EHPAD, bien sûr on n'a pas toujours le
temps d'aller le voir toutes les semaines, on y est habitué à ce manque de temps, mais là le fait d'avoir
conscience d'en être empêché, cela nous a oppressé. On a pensé : "et si il décédait pendant le confinement,
sans l'avoir revu ?". Curieux ! Puisque d'habitude on évite d'y penser profondément au fait qu'il peut décéder sans
l'avoir revu récemment.
Pourquoi avoir été bien plus inquiets de cette absence des autres que d'habitude ? Après tout,
nous savons tous que le lien de la proximité affective avec les autres, ne tient pas à leur présence dans la
pièce. Nous sommes tous dans cette pièce ensemble ce soir et nous ne sommes pas proches, car nous ne
partageons pas de souvenirs ensemble. Nous savons que la proximité est un lien invisible, elle n'est pas
liée obligatoirement à la présence du corps de l'autre, heureusement, donc normalement cela ne devait pas
poser de souci de ne pas voir les gens à qui on tient pendant un confinement. Pensez à eux et leur dire par téléphone, aurait dû
suffire, comme auparavant. Effectivement, le lien ne dépend pas de savoir si je peux toucher l'autre, mettre ma mains sur son bras pour
lui demander : “est-ce que ça va ?”. Le lien avec l'autre ne dépend pas de pouvoir voir l'autre à côte de
moi.
Nous avons pourtant été très sensibles et éprouvés par le manque de la présence physique de ceux
à qui l'on tient (ceux qui ont choisi avec qui ils allaient se confiner l'avaient bien préssenti), car au
fond de nous, nous avons été insécurisés dans nos propres liens avec les autres pendant ce confinement.
"Insécurisé" veut dire quoi ? Tous simplement que l'on a peur très souvent de perdre le lien. Evidemment la
peur de perdre le lien ne ressemble pas toujours à la situation du grand-parent en EHPAD. On a pas
spécialement eut peur que tous les autres éloignés décèdent pendant le confinement. Bien sûr, mais par
contre on a eu peur d'être moins présent dans la vie de ces autres. On a ressenti aussi que l'on ne pouvait
pas les rendre présents, les faire venir dans notre vie quand on en avait besoin. Le fait d'avoir la
possibilité, la liberté de se voir, même si on ne se voit pas, c'est se rassurer sur le fait que l'on peut
entretenir, maintenir, notre présence, dans la vie de l'autre et c'est aussi se rassurer sur le fait que l'on
pourrait “ramener” l'autre dans notre vie à nous, quand on en aura besoin. Or pendant le confinement cet
entretien rassurant de notre importance dans la vie de l'autre, était fini. De même était fini cette possibilité
rassurante de le faire venir dans notre vie pour vivre un moment avec lui et ne pas être seul à souhaiter
cette relation.
Pendant le confinement la réalité objective de nos liens avec ceux que l'on aime n' a jamais été
rompue, personne n'a perdu la mémoire pendant le confinement et la vraie réalité de nos liens dépend
d'elle, de cette mémoire. Nos places dans la vie des autres tiennent aux souvenirs ensemble, ce que l'on a
vécu avec eux avant le confinement, ce que l'on représente pour eux déjà avant le confinrment. Mais on a
eu peur que les autres ne se soucient plus de nous ou plus assez, du fait que chacun devait s'accrocher à la
sphère privée immédiate, alors on pouvait nous oublier et nous pouvions nous sentir seuls, nous qui étions
à distance géographiquement. C'est bien cette peur que nous avons ressentie puisque même les voir en
photo cela n'a pas suffit.
On peut se défendre et dire que l'on n'a pas eu peur d'être moins important, encore moins d'être
oublié, mais alors comment rendre compte de notre besoin de toucher l'autre de lui faire un câlin, pour les
petits enfants, ou de seulement le voir sans le toucher ? On va dire simlement que cela fait partie de la vie
? Sauf que si l'on était rassuré sur la profondeur des liens (on ne nous oublie pas du tout) on aurait pu s'en
passer plus facilement du présentiel.
Ce qui est important maintenant c'est de ne pas oublier ces deux choses-là : 1) on a peur de ne pa être
assez important pour l'autre que l'on aime et qui est à distance, et 2) on n'est pas assez sûr de vivre à deux
notre attachement à l'autre. On n'est pas profondément sûr de la réciprocité. Quand on dit : “tient on
pourrait se voir ?”, “venez manger !”. On ramène l'autre à nous pour être sûr qu'on vit réciproquement
l'importance que l'autre a pour nous. Pendant le confinement, cette vérification de la réciprocité n'a plus
été possible.
Ces deux peurs ne sont pas valables seulement pour les membres d'une famille à distance, ces
peurs sont tellement présentent parmi nous, qu'elles ont touché aussi les collègues entre eux. “Pourquoi
mes collègues ne m'appellent pas ? "Ah oui nous sommes tous confinés dans nos univers personnels, avec
nos proches immédiats, ceux avec qui on vit, oui... mais quand même j'avais l'impression de compter,
quand tous les jours au travail on se disait “bonjour”. Et j'en ai besoin de cette importance, et j'en suis
finalement pas si sûr de cette importance”.
Il y a même des gens qui ont commencé à penser, pendant le confinement, partir plus vite en retraite, car
ils ont été déçus par l'impression qu'ils ont ressentie, l'impression de moins compter pour leurs collègues,
alors qu'en fait, ils ont toujours compté. Ils s'en sont rendu compte en revenant dans l'entreprise après le
déconfinement. Cette crainte arrive très vite dans notre tête alors qu'elle n'est pas réaliste. On est
important !
De même les salariés qui sortaient d'un temps partiel pour un temps plein et qui se nourrissaient bcp de la
bonne ambiance entre collègues pour tenir les contraintes professionnelles, ils ont failli se mettre en arrêt
après le déconfinement, de peur de s'être trompé quant au fait que leur collègues les aimaient bien.
Pourquoi ? Parce que ces collègues n'ont pas appelé souvent, voire pas du tout. Dernier exemple : toutes les personnes
qui ont transmis à leur équipe, par mails, les informations professionnelles habituelles. Ces personne ont
été tristes de voir que cette transmission d'informations par informatique, suffisait à tout le monde. J'ai
entendu en cabinet : “je transmets des informations par mail et ça leur suffit aux membres de mon équipe
!!!! Mes collègues n'ont pas besoin de m'avoir au téléphone ??? Je pensais quand même que nos échanges
comptaient, on se parlait d'habitude, on échangeait pas seulement des informations ensemble....”. Quand on
se parle, on cherche à ressentir que l'on compte pour l'autre, on ne vit pas seul l'importance de l'autre pour
nous, on a l'impression que c'est réciproque....On n'est pas seulement en train de travailler. Le problème
c'est que finalement, avec le confinement, on s'est rendu compte, que ces temps avec les autres ne nous
avaient toujours pas rendu certains de compter pour eux. Il y a toujours un doute !
Grâce au confinement, nous pouvons peut-être essayer maintenant de faire attention à mieux installer en
nous la sécurité des liens qui concernent ceux avec qui nous ne vivons pas. Nous pouvons faire attention à
mieux les installer dans notre intériorité ! Il s'agit de penser plus souvent au fait que nous sommes
présents dans la vie de beaucoup de personnes, se soutenir de cela et pas seulement chercher à vouloir les
voir, pas seulement vouloir “avoir” des rencontres en présentiel.
Transition : on peut s'imaginer que ce qui vient d'être dit ne concerne que les personnes qui étaient seules
chez elles pendant le confinement. Si il est vrai que nous avons été bien contents de ne pas être seuls
confinés chez soi, nous avons parfois et même bien souvent, vécu dans notre vie avec d'autres au domicile,
un autre problème : un manque qui s'apparente un peu au précédent, et qui a causé de l'agacement au sein
de nos familles.
C'est la seconde difficulté (2). On a vécu des agacements répétitifs à l'égard des proches présents.
Enfants, conjoints, frêres et soeurs, parents, etc. Pourquoi ? On a tous entendu parlé de cette vieille
théorie sur “l'espace vital”. On aurait besoin que les autres ne s'approchent pas trop près car la partie la
plus ancienne de notre cerveau, dans sa dimension primitive, garderait la signification “animale” du
danger, quand quelqu'un s'approche trop près, ou lorsque nous sommes fatigués d'être trop souvent
sollicités. Mais quand on vit en couple ou en famille depuis longtemps, cet espace vital est normalement
un peu usé, on est habitué à devoir supporter l'autre malgré notre fatigue. Or pendant le confinement cela
a été très régulièrement difficile d'être non-stop ensemble et en plus on était bien moins fatigué : nous
n'allions plus travailler, plus d'école, et plus de trajets fastidieux (plus de mères aux foyers qui se plaignent
de faire le “taxi” tous les mercredis et toute la semaine). Alors, que nous est-il arrivé ? Je ne crois pas que
ce soit cette explication de l'espace vital qui soit le vrai problème.
Pendant le confinement, nous avons été privé d'une partie de ce que nous sommes et que nous ne
pouvons pas être avec nos proches du quotidien. Cette partie de nous-même nous avons l'habitude de la
sous-estimer et là encore le confinement nous rend service si nous voulons bien prendre en compte ce que
nous avons ressenti. Cette partie de nous-même, c'est tout ce que nos proches ne nous donnent pas et que
nous-mêmes nous ne pouvons pas non plus nous donner ! C'est tout ce que les autres extérieurs, notre vie sociale,
nous renvoient de nous.
Avec ceux du domicile, nous avons bien vu que nous avons été réduits à la personne qu'ils voient en nous.
Ils nous ont renvoyé la même chose que d'habitude, leurs demandes, mais cette fois-ci il n'y avait plus que
cela dans notre vie pendant le confinement ! Ceux avec qui nous nous sommes confinés, pensent à nous
comme soutient, comme ressources, nous sommes la solution à plein d'attentes affectives ou intéressées.
Mais ce que nous sommes en dehors de leurs attentes, ça n'existe pour ainsi dire pas. Exemple : si nous
demandons à nos enfants qui nous sommes, y compris aux adolescent les plus matures, nous entendrons la
manière dont ils nous voient à travers ce qu'il attendent de nous, ou à travers ce qui les a déçu de nous. Ils
ont du mal à nous renvoyer ce que nous pouvons être en dehors de leurs attentes. Avec nos conjoints c'est
pareil. A l'inverse, dans nos relations en dehors du domicile, quand on parle de nous comme quelqu'un de
fiable, c'est en suggérant un au-delà du contrat de travail. Quand dans le monde extérieur au domicile, on
dit de nous que nous sommes fiables, c'est que nous sommes imaginés, à tort ou à raison, comme une
personne en soi fiable, et pas seulement un collègue qui par son obligation professionnelle est obligé
d'être fiable.
On l'a bien vu dans la précédente difficulté, quand on estime être apprécié professionnellement, on estime
être apprécié nous dans ce que nous sommes et pas seulement dans les tâches qui nous incombent et que
l'on remplit. Dans le le lien social et professionnel, nous allons chercher ce que l'autre nous accorde
comme valeurs propres. Dans la vie quotidienne avec les proches, nous sentons que notre identité est
réduite et ne vivre qu'avec celle-ci, cela peut devenir insupportable. Au domicile, on ne parle plus de nous,
on attend des choses de nous, nous ne sommes pas envisagés au-delà de la sphère émotionnelle de l'autre
et de ce fait nous avons pu nous sentir pendant le confinement, comme prisonniers des attentes privées de
nos proches.
Le confinement nous rend donc service, en mettant à jour que nous avons besoin d'être identifiés
comme une personne à part entière, comme un être humain qui vaut bien plus que la somme des
satisfactions et des déceptions qu'il occasionne dans les relations intimes avec lui.
Il faut maintenant que nous fassions peut-être plus attention à l'altérité de notre conjoint, de nos enfants, et
qu'ils fassent attention à la nôtre. Percevoir ce qu'ils sont en dehors des liens avec nous, c'est ça leur
altérité, et leur demander pour nous la même chose.
Transition : Nous avons vu que dans la rencontre physique avec les autres, nous avions peur d'être moins
importants pour eux. Nous avons vu ensuite que, le confinement en nous obligeant à ne nous nourrir que de
la sphère privée, inconsciemment, nous a privé de la satisfaction de notre besoin d'exister au-delà des
attentes émotionnelles des proches avec qui nous vivons. Dans ces deux difficultés, le confinement (merci
au confinement) nous montre notre grand besoin des autres qui sont en dehors du foyer, besoin qui n'était
peut-être pas assez conscient dans notre vie avant. Notre besoin des autres a pu aussi nous conduire à
compenser ou à sur-investir ceux avec qui nous avons vécu quotidiennement le confinement. C'est ce qui
nous amène à la troisième difficulté.
La troisième (1) c'est la peur du déconfinement. Nous avons entendu et peut-être l'avons nous
vécue, cette peur de reprendre la vie d'avant le confinement. Bien sûr la première explication a été la peur
du virus. Et si je l'attrapais. Mais il y a autre chose également. En amenant les personnes à en dire plus, on
a pu entendre “il faut repartir”, “il faut se remettre dans le bain”, “il faut y retourner”. On a pu aussi dire
“ouf on reprend le travail”, mais en même temps, les personnes qui étaient contentes de le reprendre,
abritaient elles ausi, une crainte latente : comme une crainte que quelque chose soit difficile. Les gestes
barrière bien sûr, mais pas seulement. Comme si tout d'un coup on redécouvrait intuitivement les efforts
constants que l'on doit faire pour s'adapter à cette vie à l'extérieur. Les gestes barrière n'ont été que la
représentation exponentielle de l'effort que nous demande en permanence notre vie à l'extérieur du
domicile. Avant le confinement nous sentions consciemment notre difficulté, seulement lors de nos retours
de vacances : il faut repartir, se remettre à travailler ou dans une vie sociale qui demande une adaptation
variable. Mais avec le déconfinement nous nous sommes rendus compte que ce ne sont pas les vacances
qui causent cet effort pour repartir. Que nous vivions seul ou en famille, pour peu que la vie au domicile
se passe bien, inconsciemmnt nous opérons une dichotomie entre la vie au domicile et la vie à l'extérieur
du domicile. Cet arrêt de nos effort d'adaptation à l'extérieur qui nous a été commandé, puisqu'on nous a
obligé à rester chez nous, nous a montré que sortir de chez nous ensuite nous semblait comme un re-
démarrage. Comme si le temps de pause chez nous, nous avait évité bien des efforts qu'il fallait reprendre.
Normalement nous aurions dû être tout simplement ravis de reprendre la suite du cour de notre vie en
nous déconfinant. Et bon nombre d'entre nous ont été ravis de reprendre leur travail, mais cependant, avec
la sensation que les choses n'allaient pas être simples. D'ailleurs nous en parlons encore : des gestes
barrière cela semble compliqué à organiser. Cela l'est-il vraiment ? Sans doute que non, lorsque nous
voyons la réalité de leur mise en place. Alors pourquoi commençons-nous d'emblée par voir une
montagne à gravir, au moment de sortir du replis de la bulle du domicile ?
Beaucoup on parlé d'étrangeté à ressortir dehors librement, alors que nous avons vécu difficilement
avec une heure de sortie sur nos dérogations pendant des semaines. De même, il y a un sentiment
d'étrangeté à re-cotoyer librement des collègues dans les couloirs. Le rapprochement est libre, sans
interdiction, mais on doit volontairement faire attention tout le temps, on nous rappelle consciemment qu'il
faut faire des efforts tout le temps pour nous protéger les uns des autres.
Pendant le confinement, on nous a obligé à ne plus nous adapter à rien, en sommes à ne plus nous faire
violence. Les seules violences qu'il y ait eu dans le confinement, ce sont celles qui ont pu avoir lieu dans
l'intime de nos domiciles, mais à l'extérieur plus d'effort à faire ! Même pendant les vacances nous faisons
bien plus d'efforts d'adaptation à l'environnement extérieur, que nous n'en avons fait pendant le
confinement. “Nous exposer strictement le moins possible au monde extérieur”, voilà la règle que nous
avons suivie d'un seul coup et bien sûr qu'il fallait la suivre. Il n'y a pas eu d'erreur à la suivre, mais en la
suivant, il y a eu une conséquence importante : nous avons arrêté tous nos automatismes inconscients
d'acceptation des micro-violences extérieures. Donc lors du déconfinement, nous avons eu la sensation
d'une lourdeur, d'un redémarrage alors que nous aurions dû vivre seulement la joie de la reprise d'une vie
interrompue, si cette exposition au monde extérieur n'était pas synonyme d'efforts permanents pour
s'adapter aux autres.
Quelles sont ces micro-violences acceptées tout au long de notre vie et qui se sont arrêtées nettes
durant le confinement ? Tout ce qui en partie constitue le monde professionnel et les relations sociales :
accepter les jugements petits ou grands dont nous sommes l'objet en permanence, vivre avec le risque
d'échouer dans ce qui est attendu de nous, retrouver souvent l'obligation de faire nos missions par contrat
professionnel alors que nous ne les désirons pas systématiquement ces tâches, ce sont aussi les heures de
présence qui ne respectent pas le fonctionnement et la fatigue du corps, c'est supporter un collègue, un
voisin, un commerçant avec qui cela ne se passera jamais bien on le sait, c'est un peu tous les jours faire
avec des situations d'adversité sur lesquelles on n'a aucun pouvoir, etc. Tout ce que l'on doit faire ou
supporter parce que ce sont des passages sensibles inévitables. Pendant le confinement on a mis tout cela
en pause, et j'insiste, c'est le seul moment de notre vie où tout cela a été mis en pause. Le seul moment de
notre vie où on nous a dit : le monde extérieur ne doit plus exister pour vous hormis pour aller chercher
votre nourriture et vous soigner. Le monde extérieur a donc été reduit durant quelques semaines à des
besoins premiers, on peut même dire primitifs. Le déconfinement nous a fait ressentir la lourdeur de
reprendre une sociabilité et une adaptabilité constantes, à des enjeux plus complexes, car moins primitifs.
Grâce à cette appréhension du déconfinement, nous savons maintenant qu'il faut que nous fassions
attention à chercher les circonstances dans notre vie extérieure qui nous font ressentir qui l'on est, des
situations qui sont un petit peu comme le prolongement de nous-mêmes, pour ne pas mémoriser
seulement ce que nous devons supporter. Pour que les relations extérieures, me fassent bien moins
violence, il faut qu'elles soient perçues à certains endroits, comme le prolongement d'une partie de ce que
je suis.
Transition : depuis ce retour à la vie extérieure, le déconfinement dont on vient de parler, il y a deux
micro-violences qui sont nouvellement conscientes. On les vivaient avant, mais sans en avoir vraiment
conscience. Ce sont celles qui constituent les deux dernières difficultés que nous continuons à
expérimenter : la peur de mourrir et les malaises causés par le masque.
J'aborde donc la quatrième difficulté (4). Nous sommes nombreux à penser régulièrement à notre
santé, à nos actes de prudence pour ne pas nous faire courrir de risques dangereux au quotidien (traverser
en regardant, etc.). Nous faisons attention à nous-mêmes, nous nous soignons régulièrement. Mais la peur
de mourrir, avec le confinement et le déconfinement, a pris un visage très différent. Elle a pris le visage de
l'autre. Cette fois-ci ce n'est pas une algue toxique qui se développe loin de nous dans l'eau, ce n'est pas la
vache folle loin de nous dans son près, ou le steak haché dans notre assiette que l'on peut ne pas manger,
non c'est l'autre que l'on croise n'importe où et que l'on ne peut pas éviter. On peut même vivre avec
quelqu'un qui a attrapé la COVID, mais qui déclenche très peu de symptômes, face à qui, donc, on ne s'alarme
pas, cette personne ne le sait pas et nous le savons pas non plus.
Aujourd'hui nous nous disons que le risque d'être atteint passe par tous ceux qui ne font pas ce qu'il faut
pour nous protéger. Savoir que le masque chirurgical basique ne protège pas celui qui le porte, mais
protège ceux autour de celui qui le porte, cela veut en dire long. Celui qui ne porte pas de masque est
perçu comme celui qui ne pense pas autres, par conséquent il les met en danger. Que la mort passe par
l'autre proche, proche géographiquement (dans la rue, dans la boulangerie, etc.), ou proche affectivement
(les enfants pour les grands-parents), cela rend la mort présente d'une manière que l'on ne connaissait plus.
On sait que l'on peut mourrir encore plus souvent du cancer que de la COVID, oui, mais le cancer est une
anomalie, c'est le corps qui génère son propre dysfonctionnement ou ce sont les environnements
anormaux qui déclenchent un cancer (tabac, alcool, expositions polluantes diverses). On sait qu'on peut
encore mourir de la grippe, oui mais à condition d'être âgé ou particulièrement fragile. On sait que l'on
peut mourir de plusieurs choses, mais les causes sont toujours relativement éloignées ou liées à un corps
qui se dérègle. Des causes de danger éloignées ce sont des dangers face auxquels, entre nous et eux, on
peut mettre une protection : les vaccins pour la grippe. Pour le cancer, quand on comprend ce qui
déclenche plusieurs cancers, on peut décider de prendre soin de son corps de différentes manières pour
ne pas déclencher l'oxydation des cellules qui va provoqué leur dérèglement et donc à moyen terme un
cancer. Alors que par le confinement, on a vécu qu'il n'y avait rien à mettre entre soi et le virus. Que le
risque de mort était juste dehors, dans le magasin, sur le siège que je touche en m'asseyant dans le bus, sur
le stylo que je prends lorsque je remplis mon courrier recommandé à La Poste.
Il y a plusieurs années, lorsque un lépreux arrivait il devait se signaler par une clochette, mais aujourd'hui
on ne sait pas qui l'a si les symptômes ne sont pas très apparents. Donc la mort possible est là au milieu de
tout le monde. Bien sûr on peut se rassurer en se disant que l'on se fait confiance, que l'on reste optimiste
et que l'on ne veut pas s'affoler. Oui, mais il suffit que l'on croise une personne dans la rue qui n'a pas le
masque et écoutons bien ce que nous ressentons à l'intérieur de nous : quelque part on trouve qu'elle n'est
pas respectueuse des efforts de tous, qu'elle est égoiste ou immature, donc on lui en veut des risques
qu'elle nous fait tous prendre. Notre rapport neutre à l'autre (on se croise, on se connait pas, il ne se passe
rien) est pour l'instant littéralement supprimé, “L'autre que l'on croise est à nos yeux engagé
immédiatement dans une responsabilité envers tous”. Dire cela semble essentiellement une belle
formulation, un bel élan moral, mais ce n'est pas seulement ça . Se tient derrière cette pensée (“l'autre est
à nos yeux engagé immédiatement dans une responsabilité envers nous tous”), le fait que nous vivons
tous les jour avec la notion du risque grave, si ce n'est pas pour nous parce que notre corps se défend bien,
ce risque grave c'est nous qui le ferons prendre à l'autre en lui refilant le virus que nous aurons à peine eu
conscience d'avoir eu. Prendre soin de notre corps, ne pas fumer, faire du sport, manger bio, etc cela ne
suffit plus pour nous rassurer. Certes on peut encore se rassurer en faisant confiance à notre corps, nous ne
seront pas en grandes difficultés si il se défend bien. Oui, mais on ne peut pas se rassurer sur ce que l'on
ne va pas faire à l'autre, si on ne porte pas de masque. On peut veiller sur son corps à soi et se rassurer
comme cela, (ex : le cancer) mais on ne peut pas veiller sur le corps de la personne que l'on croise dans la
rue.
Le confinement nous a appris que nous avions un responsabilité dans le maintient en vie du virus.
Si on ne sortait pas, le virus ne se propageait pas. Il était peut-être dehors dans notre rue, mais si il ne
rencontrait pas de corps vivant (grâce au confinement), il s'éteignait en quelques minutes (puisque l'on
connait sa durée de vie à l'air libre). Cette fois-ci nous avons été et nous sommes encore responsables de
la croissance de ce virus devant l'autre, et la responsabilité dont je parle ici elle n'est pas citoyenne ou
collective, elle est bien personnelle, individuelle. Il perdure quand il peut passer par quelqu'un, donc la
perte de santé, l'idée de la mort, elle ne peut pas être plus proche : c'est nous pris individuellement. La
mort, c'est ce que nous pouvons transmettre à l'autre dans la rue et ce qu'il nous transmet, si nous nous
croisons sans masque, tout simplement. Alors comment vivre avec ça ? Comment ne plus subir ce danger,
alors qu'on ne peut pas utiliser avec lui les mêmes solutions pour se rassurer que celles utilisées pour
espérer se prémunire contre le cancer et la grippe ?
On peut se rassurer sur l'état de résistance de notre corps, il ne tombera pas gravement malade, oui
peut-être, mais on ne peut pas être sûr de la même chose chez l'autre à qui on va peut-être transmettre le
virus sans le savoir, simplement par le biais de nos mains qui se promènent d'un lieu publique à l'autre, si
on ne les désinfecte que chez soi. C'est ce que traduisent les personnes qui ont peur de mourrir de la
COVID et qui paniquent en voyant quelqu'un sans masque. Elles ont peut-être raison, elles vont peut-être
réèllement tomber gravement malades si elles l'attrapent. Leur dire que ça ira, c'et un peu juste quand on
réalise que le risque d'une mort possible est étroitement lié à la contagion.
Le masque chirurgical (celui qui protège les autres mais pas celui qui le porte) et le déconfinement
comme obligation de re-rencontrer les autres, sont peut-être 2 éléments en train de nous rendre service.
Ces deux élèments nous fournissent une approche possible de l'autre à travers ce risque de mort que nous
lui faisons prendre : l'obligation de protéger l'autre et pas seulement soi. Quand on veut se protéger soi
seulementt, en se désinféctant les mains par exemple, on finit toujours par penser “ça va aller”, on finit
toujours pa relativiser. Essayez d'y faire attention quelques minutes ! Mais quand on pense aux risques
que l'on fait prenre à l'autre parce que l'on est pas obsédé par la COVID, alors là on peut moins relativiser.
On ne peut pa se dire : son corps c'est sûr il va résister. On peut se dire “ça ne me tuera pas” mais on ne
peut pas se dire avec certitude : “ça ne le tuera pas si je lui transmets”. Par contre on peut éloigner le
spectre du risque grave que l'on fait prendre à l'autre, en se disant : “je me désinfecte les mains pour tous
les autres qui passeront derrière moi dans les lieux où je vais mettre mes mains”. L'obligation de penser à
l'autre avant soi, c'est le changement que l'on peut opérer après que le déconfinement nous ait appris deux
choses : l'obligation de croiser le virus parce qu'il résiste un peu à l'air libre et seulement ensuite
l'obligation de croiser l'autre.
Transition : Grâce au confineent et déconfinement nous avons l'occasion concrète de vouloir faire les
choses pour l'autre et plus seulement pour soi. Mais quand je protège l'autre ce n'est pas pour autant que je
vis bien la relation à l'autre. C'est le dernier point que je voudrais essayer de rendre plus clair. Ce sont les
malaises causés par le masque.
Avec mon masque, je ne suis pas sûr que l'autre entende bien ce que je viens de lui dire. Je ne suis
pas sûr de la manière dont l'autre comprend, reçoit, ce que je lui dis, car il a son masque, je ne vois pas sa
réaction sur son visage quand je lui parle. Je ne peux pas vérifier qu'il m'a compris car je ne peux pas voir
son visage. Moi, l'ai-je bien compris ? J'ai entendu ce qu'il a dit, ses phrases, mais je n'ai pas vu son
expression quand lui me parlait. Il n'a pas assez accès à moi avec mon masque et je n'ai pas assez accès à
lui avec son masque. (infirmières et entreprise de materiel funéraire). On n'est pas sûr qu'avec le masque
“les intentions”, “les envies de dire” passent bien.
On a un langage humain très riche, oral et écrit. On utilise des mots qui peuvent signifier des idées
abstraites, on a mémorisé des nuances linguistiques variées, des tournures de phrases, des définitions
nombreuses, dans nos lectures ; et malgré tout on a peur avec nos masques de ne pas être compris ou de
ne pas comprendre l'autre. Le masque ne crée pas ce problème. Ce problème nous l'avons déjà rencontré
avec ce que nous appelons régulièrement de la communication virtuelle. Toute communication écrite, sms,
message internet, nous l'appelons communication virtuelle, comme si c'était une fausse communication
seulement parce que l'autre n'est pas devant nous. Cette certitude de la virtualité, cette certitude de la non-
réalité de la communication si il n'y a pas un tête-à-tête, elle a la vie dure, on l'a toujours. Le masque, lui,
il nous fait comprendre que le souci n'est pas l'absence du face-à-face, puisque avec nos masques nous
sommes en face-à-face. Il n'y pas de virtualité avec le masque, en revanche il y a quelque chose entre soi
et l'autre. C'est pas grand chose le masque et d'ailleurs on peut tous faire l'effort de le garder toute la
journée, mais, on vient de le dire, c'est un effort et pas seulement pour les personnes claustrophobes.
Nous ne faisons pas assez confiance à l'autre pour nous comprendre seulement avec les mots que
nous utilisons et nous ne faisons pas assez confiance à l'autre pour s'exprimer lui seulement avec ses mots.
On veut qu'il voit notre visage afin qu'il puisse bien nous cerner au-delà de nos mots auxquel il pourrait
ne pas faire attention, et on regarder son visage, pour le comprendre au-delà des mots qu'il utilise. On ne
fait pas confiance à l'autre dans son choix des mots qu'il utilise. On veut le comprendre seulement par
nous-mêmes en regardant son visage. Alors que l'on devrait juste lui demander de se dire plus, de s
préciser plus avec ses mots et non scrupter son visage. De même on a peur que ce que l'on veut lui faire
comprendre ne passe pas jusqu'à lui si il n'y a que nos mots et pas notre visage, nos expressions du visage.
On parle souvent, dans beaucoup de situations, du manque de confiance en soi, mais le manque de
confiance en l'autre ce n'est pas rien !! Je crois que dans beaucoup de situations où l'on dit manquer de
confiance en soi, si on creuse un peu, en fait on manque de confiance en l'autre.
Ne compter que sur les mots, à l'oral ou à l'écrit, pour se faire comprendre et comprendre l'autre, c'est
avant tout lui faire confiance dans le fait qu'il peut réellement avoir l'envie de nous comprendre jusqu'à ce
que cette envie le porte à nous comprendre et qu'il peut réellement bien choisir ses mots à lui pour
s'exprimer lui.
Le masque donc c'est une chance à saisir, pour essayer de croire un peu plus en l'autre, son choix
de ses mots, sa compréhension intellectuelle et émotionnelle de mes mots, quand on se parle ; en ne
comptant plus sur le visuel pour se cerner.
Quand on passe par le visage de l'autre pour le comprendre, c'est volontairement qu'on ne s'en tient pas à
ce qu'il dit, malgré lui on veut aller au-delà de ce qu'il choisit de dire. Si on compte sur nous pour le
comprendre, on ne compte pas sur lui. Quand on compte sur notre visage pour être compris de l'autre,
c'est pareil, on lui impose ce que l'on veut lui faire comprendre, comme si de lui-même il ne pouvait pas
ou ne voulait pa nous comprendre vraiment bien à travers nos mots.
On peut se dire qu'avec le masque on a l'occasion de devoir faire autrement : on peut essayer d'accorder à
l'autre une vraie intention, on peut se dire qu'il fait un vrai effort pour nous comprendre et on peut
accorder à l'autre qu'il fait vraiment attention à ce que nous sommes quand il fait aussi l'effort de se faire
comprendre par nous.
Conclusion : le confinement et le déconfinement nous auront rendu service si maintenant on :
– Essayer de nous rassurer par les souvenirs que l'on a avec l'autre, en faire des preuves que l'on
compte pour l'autre, plutôt que de vouloir vérifier encore et encore par le présentiel.
– Prendre conscience qu'il y a toute une partie de ce que nous sommes que nous ne pouvons
expérimenter que par la vie en dehors de nos foyers
– Prendre conscience des efforts constants d'adaptation que l'on consacre aux micro-violences quand
on sort hors de la bulle affective du domicile, et de ce fait chercher davantage les situations on l'on
dit quelque chose de nous-mêmes pour ne pas se concentrer seulement sur les situations que l'on
supporte.
– Essayer de faire les gestes barrière pour les autres et pas seulement contre le virus !
– Grâce au masque faire davantage confiance à l'autre dns ses efforts quand il s'adresse à nous.
Important : cette intervention elle est écrite donc je peux la communiquer ceux et celles qui souhaitent la
conserver pour y réflechir. Je peux la transmettre ou par mail ou par écrit, vous avez simplement à
indiquer que vous souhaitez la recevoir, en écrivant sur la feuille vos coordonnées.
Autres thème proposés : Grand-parent en EHPAD je le vis comment ? La violence conjugale c'est quoi
“au-delà” des mots violents et des coups ?
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