Lors du premier confinement, lorsque les familles pouvaient décider de scolariser ou non leurs enfants, bon nombre
ont ressenti un inconfort à l'idée de prendre cette responsabilité et porter individuellement la gestion du risque. On a
pu entendre autour un regret que les gouvernements n'imposent pas clairement l'autorisation ou l'interdiction du
retour à l'école. C'est un exemple, mais il y en a eu d'autres : obliger les professionnels a se faire dépister au lieu de
les laisser en décider, eux ou leur service ?
Depuis le début du second confinement nous nous apercevons que les limites sont plus clairement posées, toute
autant que les autorisations. Se repérer sur ce qu'il est bon ou possible de faire, est pour chacun plus facile. Mais
cela signifie aussi que nous ne sommes pas conduits à adhérer aux interdictions et aux autorisations. Certes, pour la
sécurité de tous il faut faire vite et il serait trop long d'organiser un référendum afin de solliciter l'approbation
majoritaire d'un ensemble de citoyens. Cependant, la question demeure et il est sans doute important que nous
puissions, chacun, dans notre fort intérieur, se la poser : aurions-nous souhaité être responsables de décider des
interdictions et des autorisations ? Aurions-nous accepté de réfléchir aux risques réels de contagion ; réels c'est-à-
dire sans se préoccuper seulement de nos intérêts personnels et professionnels ? Ou préférons-nous de loin que les
gouvernements de nos pays s'en chargent ?
Se soumettre volontairement à une décision gouvernementale, en ayant clairement en tête une bonne raison d'y
adhérer, est un des principes fondamentaux des premières théories des démocraties et des gouvernements civils. Ces
théories ne commencent pas avec la Révolution Française et les droits de l'Homme. Elles sont construites, dès le
XVIIè notamment par Locke
[1] et Hobbes
[2]
. A l'origine d'une société qui accepte les décisions d'un gouvernement,
ils donnent des fondements différents de ceux connus. Ni la défense passionnée d'une égalité pour tous, ni l'héritage
judéo-chrétien, tantôt patriarcal tantôt originellement hiérarchique (l'Alliance féconde avec Dieu : tu me reconnais
comme ton seul Guide et ta descendance sera assurée, féconde). Locke et Hobbes donnent comme fondement, un
renoncement à nos libertés qui est complètement volontaire. Volontaire parce que réfléchi et réfléchi parce que
chacun cherchant dans sa tête les conditions de sa sécurité, découvre en même temps les conditions de celle de tous.
Ces deux auteurs expliquent ce renoncement volontaire grâce à deux logiques différentes.
Hobbes et Lockes ont en commun de rappeler que l'état de nature de l'homme ( l'état dans lequel on l'imagine si il
devait vivre sans lois juridiques, et sans règles collectives), serait un état très peu heureux. Selon le premier cet état
conduirait les hommes à une insécurité permanente puisque chacun pourrait faire ce que bon lui semble pour
assurer et conserver sa vie. C'est la célèbre phrase de Hobbes : “homme est un loup pour un autre homme”. De ce
fait aucun ne pourrait avoir la sécurité de vivre très longtemps
[3]
. Pour Locke l'insécurité aurait une autre forme.
L'homme ne serait pas par nature un loup pour ses pairs, mais en revanche, sans lois et sans règles il ne pourrait pas
faire reconnaitre aux autres son droit à conserver les produits de ses efforts. Il ne pourrait pas survivre longtemps si
ses efforts pour labourer une terre ne lui garantissaient pas de manger le fruit de ses efforts, autrement dit si
n'importe qui pouvait en toute impunité lui voler le résultat de ses efforts (récoltes). Pour Locke sortir de cette
liberté naturelle de voler l'autre, c'est comprendre que les lois garantissent chacun de pouvoir s' approprier le
résultat de ses actions non-agressives pour survivre (de la terre labourée au diplôme, pourrait-on dire).
Qu'il s'agisse des lois comme moyens de faire reconnaître le droit de s'appropier le fruit de ses efforts ou des lois
comme moyens de limiter le droit de mort de chacun sur tous, dans les deux cas les hommes ont conscience d'une
bonne raison de renoncer à leur état de nature (l'état dans lequel ils s'autorisent à ne pas respecter l'autre pour
survivre eux-mêmes). Ils veulent renoncer au droit de faire ce qu'ils veulent parce qu'ils ont conscience ainsi
d'augmenter la sécurité de leur vie individuelle. Chaque citoyen garde en tête la logique selon laquelle la volonté de
chacun de renoncer à son envie de faire ce qu'il veut, met tous en sécurité individuellement face à l'autre.
Aujourd'hui nous souvenons-nous de ce fondement de notre obéissance aux décisions gourvernementales ? Ou
sommes-nous dans la croyance absolue d'un Etat Providence ? Croyons nous qu'un gouvernement, quelqu'il soit,
comme par magie, sait tout mieux que nous et trouvera des solutions sans que nous fassions l'effort de réflexion d'y
adhérer ? Si nous vivons ses décisions comme contraintes, n'est-ce pas parce que nous n'exigeons pas toujours de
nous l'effort de chercher une cohérence aux limites que leurs décisions nous imposent ? Notre adhésion aux
décisions, notre volonté de nous imposer à nous-mêmes les contraintes qu'un gouvernement décide, se cache juste
derrière notre capacité à nous poser et à répondre à cette question : les limites qui nous sont imposées le sont-elles
en vue de leurs conséquences bonnes, raisonnables, rationelles, autrement dit appropriées à nos insécurités
modernes (la pandémie en faisant partie) ?
– Tocqueville l'égalité est une passion des peuples pour l'égalite bien plus que la liberté.
Dans De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville fait de la passion de l'égalité le trait fondamental du
phénomène démocratique. L'égalité est une réclamation de toutes les révolutions:
« La Liberté n'est pas l'état principal et continu du désir des peuples dont l'état social est
démocratique. Ce qu'ils aiment d'un amour éternel, c'est l'égalité ; ils s'élancent vers la liberté par
impulsion rapide et par efforts soudains et s'ils manquent leur but, ils s'y résignent ; mais rien ne
saurait les satisfaire sans l'égalité et ils consentiraient plutôt à périr qu'à la perdre78. » De là naîtrait
une servitude consentie où l'individualité tend à disparaître au profit d'un pouvoir qui ne cesse de
s'accroître dans le but de mieux protéger. Tocqueville en vient à se demander : « Cet État se veut si
bienveillant envers ses citoyens qu'il entend se substituer à eux dans l'organisation de leur propre
vie. Ira-t-il jusqu'à les empêcher de vivre pour mieux les protéger d'eux-mêmes ? »
Comment sommes nous vus ? Des citoyens qui refusent facilement la limitation de leur liberté d'agir ou de faire
comme ils le veulent. Des citoyens qui ne supportent pas la moindre limitation qui est sentie ou demande un effort
de renoncement par rapport à la vie acquise... On espère plus de nous ni la moindre moralité ni la moindre
réflexion. Peut-être qu'effectivement nos dirigeants ne l'espèrent plus.
Pouvons nous montrer le contraire ? N'est-ce pas la moment de montrer que nous sommes capables du contraire ?
Dans les cahiers de doléances en 1789, la demande d'égalisation des droits est fréquente. Pour Alexis de
Tocqueville, la démocratie tend à créer un individualisme égalitariste. Tocqueville constate que :
'individu est prêt à remettre sa liberté au pouvoir collectif, garant de la sauvegarde de l'égalité sociale : « l'unité,
l'ubiquité, l'omnipotence du pouvoir social, l'uniformité de ses règles, forment le trait saillant qui caractérise les
systèmes politiques enfantés de nos jours79. »
• la grande industrie est le point de départ de l'interventionnisme : « l'État est obligé d'intervenir dans
les rapports entre les riches industriels et les pauvres ouvriers, donc dans les rapports sociaux,
domaine dont il est exclu jusque-là ; il doit encore intervenir dans l'édification des grands travaux
publics dont la nécessité se fait de plus en plus vivement sentir et pèse ainsi d'un poids énorme
dans l'activité économique du pays80. » Ou encore : « l'État est amené à s'occuper de la charité et
de la religion, dont il paie le personnel, rétribue les prêtres. Il les contrôle non seulement du point
de vue de l'organisation, mais le domaine du temporel étant parfois difficile à distinguer du
spirituel, il arrive à s'immiscer dans le dogme et par là, contrôle jusqu'au plus profond de l'âme de
chaque homme80. »
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