Depuis l'annonce de la parution de l'ouvrage La Familia Grande de la juriste Camille Kouschner, de nombreux
témoignages abondent le site MeTooInceste. Cette fois-ci il est question d'accorder de l'attention et de la
considération à ceux qui savent quelque chose. Ceux qui, conscients de l'inceste, ne peuvent rien faire avec ce qu'ils
savent. Ceux qui ne peuvent rien dire de ce qu'ils ont compris et qui vivent avec. Les personnes touchées sont
nombreuses : des professionnels jusqu'aux proches.
Faire avancer les réflexions délicates autour de l'inceste, c'est aussi mieux comprendre les différentes situations
dans lesquelles on est amené à se taire et quelles sont les conséquences sur les personnes qui se taisent. L'auteur de
l'ouvrage cité parle de l'impossibilité à dire, à dénoncer par promesse, ce qui est extrêmement lourd à supporter des
années durant. C'est également le cas du professionnel, dont le patient venu parler, enfin, de ce qu'il supporte toutes
les semaines, entend ce même patient lui rappeler qu'il a l'obligation de confidentialité. Comment vivre son
engagement professionnel d'aidant, quand on se sent les épaules pour dénoncer l'inceste, mais que la personne
concernée nous demande par respect pour elle de nous taire ?
Il y a encore bien d'autres raisons au silence face à l'inceste et toutes sont toxiques à vivre pour celui qui à compris
quelque chose. L'exemple des parents qui, brutalement, perçoivent des comportements ambigus à la sortie d'une
pièce. Ils restent avec un malaise très fort qu'ils ne peuvent pas oublier, mais il est encore plus violent pour eux de
pousser leurs pensées jusqu'à la construction en images, dans leur tête, des actes qui ont pu se dérouler juste
derrière cette porte. C'est l'exemple des voisins, des amis, voire des proches qui entendent le récit de la personne
abusée, qui l'invite, la ré-invite, à en parler à « quelqu'un » d'étranger et de neutre (un enseignant rassurant, un
médecin du travail hors sphère privée, un psychanalyste qui comprennent les rapports parfois pervers des
familles,...), et qui entendent de la bouche de la personne abusée un « non ! » irrévocable. Comment vivre avec le
fait de savoir ce qui se passe et de ne pas pouvoir obliger la personne violentée à dénoncer celui qui la violente ?
Il est nécessaire de sortir des réflexions trop simples. Il ne suffit pas de réprouver moralement l'inceste pour être en
capacité de le dire. Le dire c'est aussi violenter une famille et différemment, autrement, c'est violenter l'abusé. Bien
sûr dénoncer c'est vouloir faire cesser une agression déstructrice pour la famille et en premier lieu pour la personne
visée par le désir incestueux du parent. Mais avant même de choisir entre dénoncer ou se taire, on porte déjà à vie
toutes les conséquences de l'inceste dont on a connaissance. Ou bien on prive l'abusé de la dernière liberté qui lui
reste (de dire ce qu'elle vit dans son intimité physique et psychologique) ou bien on le/la laisse à la merci du parent
incestueux, ou bien on l'expose à cette autre violence psychologique qui est le regard des autres (famille, instance
juridique, médecin, etc.), à cette honte qu'il ou elle va incontournablement ressentir, ou bien on laisse la personne
abusée vivre à répétition le cauchemar qu'elle connait. Parler ou se taire, aucune des deux issues n'évitera les
insomnies. On peut espérer se raccrocher au fait d'avoir fait ce qu'il fallait, moralement, on peut peut-être même se
dire que l'on a eu du courage . Cependant toute personne qui a connaissance de l'inceste, sait aussi que si en se
taisant quelqu'un souffe, en parlant, la même personne va souffrir de nouvelles souffrances. Si il suffisait d'évaluer
de quel côté sont vécues les pires souffrances, et de faire le choix du moindre mal, sans doute ceux qui ont
connaissance de l'inceste parleraient bien plus vite. Or nombreux se taisent non par lâcheté mais par connaissance
de tout ce qu'ils vont déclencher dans la vie de l'abusé.
Alors comment faire ? Accepter la part de souffrance que l'on va déclencher chez l'autre ?
Oui certainement. Comment ?
En anticipant avec un professionnel les risques sur nous-mêmes de ce crime su que l'on va garder en mémoire, alors
même que l'on tentera de se mentir en disant que le temps amoindrira cette connaissance. En laissant le
professionnel nous expliquer, avant de la vivre, cette image de nous-même qui sera tâchée malgré nos qualités,
cette culpabilité à vie qui nous fera nous ressentir usurpateurs quand d'autres nous qualifieront de belle personne. Il
y a encore bien d'autres conséquences....Car finalement ce qui est décisif pour dire ou ne pas dire ce que nous
savons de l'inceste commis, c'est la lucidité ou la difficulté, seul, à vraiment réaliser les conséquences
psychologiques en nous de ce crime alors qu'il touche un(e) autre !!!!!
On ne peut pas encourager à se taire, mais il faut bien comprendre ce que portent consciement sur leurs épaules
ceux qui ont connaissance de l'inceste. Il faut les accompagner pour supporter ce qu'ils vont causer en parlant, ou
comme C.Kouschner, les accompagner à porter consciemment ce qu'ils ne peuvent pas dire. C'est parfois ce qui
justifie une psychanalyse pendant des années, sans que la famille ne comprenne jamais le sens de cet
accompagnement de longue durée...
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