Nous imputons notre morosité ambiante aux limites qui nous empêchent de faire plein de choses. « Avec le contexte
actuel, cela n'aide pas, nous ne pouvons plus rien faire !», entendons-nous très souvent de notre part et autour de
nous. Nous parlons alors de la limite horaire, de la limite du nombre de personnes avec qui nous pouvons déjeuner,
de la limite des mètres entre deux voisins qui veulent se parler, de la limite du nombre de personnes dans un espace
fermé, de la limite des diverses dérogations, etc. Pourtant, ce ne sont pas les limites qui nous demandent des efforts
physiques. Par ailleurs il n'y a pas une liste importante de limites dont il faut se souvenir. De plus nous avons eu
plusieurs mois pour nous y habituer et nous savons très facilement devenir des êtres d'habitudes. N'est-ce pas un
peu illogique, voire étrange que ces limites nous soient de plus en plus pénibles ?
En réalité les limites ne nous empêchent que d'une chose : faire ce que l'on veut ! Elles ne sont pénibles que si l'on
pose comme important le fait de vouloir faire ce que l'on veut. Faire ce que l'on veut c'est voir ceux que l'on veut
pour passer un moment agréable, c'est prendre le temps que l'on veut, c'est faire les activités non-responsabilisantes
(non-professionnelles) que l'on veut pour ressentir comme on le veut de l'agrément sans contrainte, etc. Nous
regorgeons d'exemples.
Les limites nous les pensons seulement à l'aune de ce que nous avons envie de vivre, à l'aune de nos désirs, de ce
que nous appelons nos besoins, bien qu'il ne s'agisse là ni de manger, ni de dormir, ni au sens strict de santé
physique. Le sport que recquiert notre santé, nous pouvons en faire dans les limites horaires. Notre santé se
contenterait tout à fait d'un jogging dans un lieu public aux heures autorisées quand nous ne travaillons pas. En
effet, nous maugréons les limites pour une autre raison que celle vitale, parce qu'elles nous empêchent de retrouver
une salle de sports et que nous aimons bien mieux faire du sport à cette condition. Ce ne sont donc pas réèllement
des besoins dont nous parlons lorsque nous fustigeons les limites. Nous parlons de nos désirs tels que nous les
vivons, subjectivement, comme si ils appartenaient à l'ordre des pulsions. Combien veulent à tous prix ôter leur
masque simplement parce qu'ils en ont envie, rentrer dans ce commerce et braver la règle des deux personnes
autorisées parce qu'ils en ont l'envie ? C'est presque irrépressible au point d'ironiser sur celui/celle qui s'y adapte
plus facilment. « Il ne faut pas psychoter » entendons-nous !!!!
Si nous n'avons toujours pas intégrer ces limites comme de simples habitudes à prendre, si nous n'avons même pas
pu en faire de simples automatismes inconscients comme ceux que nous avons en prenant notre voiture, c'est
qu'elles viennent questionner, heurter, notre « monarchie personnelle ». Les limites constituent une chance
extraordinaire de nous rendre compte que nous sommes très souvent un sujet enfermé sur lui-même, un sujet replié
sur lui-même. Elles nous indiquent que « Nous avons cessé de nous reconnaître dans l'obligation de vivre pour
autre chose que nous-mêmes » (Cf. De l'égalité par défaut, BENETON, 1997). Les limites ne nous sont pénibles
que parce qu'elles nous rappellent que nous avions pris l'habitude de nous arranger autours de la satisfaction de nos
désirs.
Regardons-y de plus près, saisissons cette chance qu'elles nous offrent. Le règne de notre subjectivité que nous
entretenions jusqu'alors, est-il si merveilleux ? Qu'est-ce qu'il y a dans cette intériorité qui voudrait faire ce qu'elle
veut ? Juste un sujet fragmenté ! Juste un sujet qui veut ceci puis cela, puis ceci, puis cela.
Bien avant la COVID, Jean-François MATTEI avait rappeler ce risque dans la Barbarie intéreure, ce risque déjà
dénoncé des années aupparavant par Hannah ARENT dans la Condition de l'homme moderne. Si on la laise à elle-
même, la tendance naturelle de la subjectivité est de se retirer hors de ce lieu commun qui aujourd'hui est signifié
par les limites, celles qui ont pour fin la protection de tous. La subjectvité a cette pente naturelle à se replier sur
une conscience de soi vide, sans adhésion et sans adhérence au monde extérieur. Alors qu'au contraire, c'est de ce
monde extérieur dont dépend notre (sa) dignité humaine. Le sujet aliéné à ses propres peurs et à ses propres
caprices, ne peut pas parvenir à développer son humanité. Selon H.ARENDT il ne témoignera que d'un « déficit
ontologique », c'est-à-dire un déficit d'être : il ne saura plus penser, voir, comprendre la notion d'un Bien pour tous.
Il ne pourra pas être humanisé, tout seul, sans ce monde extérieur qui donne du sens à ses actes. Car c'est bien cette
vie à l'extérieur, cette vie dans « la Cité », cette vie avec les autres non-familiers, les autres qui n'appartiennent pas à
notre sphère privée, qui constitue l'horizon qui peut donner du sens à notre humanité. Sans cette place publique, les
subjectivités rétrécissent leurs vies à un repliement égoiste sur elles-mêmes. Si un sujet ne souhaite plus se tirer vers
le haut, au-dessus de ses désirs et ses craintes, alors « le sujet devient étranger à tout ce qui n'est pas soi comme si
ses yeux s'étaient retournés dans leurs orbites pour ne plus regarder que leurs propres cavités » (Cf . La Barbarie
intérieure, La complainte de l'homme creux).
Il en résulte de cette compréhension, deux choses importantes. La première est qu'il nous faut comprendre comment
nous fonctionnons. Ce dont nous avons envie, voire très fortement envie de faire et de vivre, ne constitue pas
nécessairement un bien pour nous et encore moins un bien pour autrui. Nous faisons une erreur en confondant
l'intime avec le justifié et faisons ainsi de l'intime un « ayant-droit ». Nous pencher sur notre passé avec un tiers qui
a les clefs pour nous éclairer sur ce qui a été déterminant pour nous amener à être la peronne que nous sommes
aujourd'hui (celle qui a des envies, des peurs, des colères, des désirs impatients, des manques qui appelent une
satisfaction, etc.), nous permet de comprendre que les ressentis intimes, forts, qui s'expriment en nous, puis hors de
nous, ont une histoire. Cette histoire personnelle ne nous a jamais fait la promesse de nous rendre juste envers les
autres et encore moins de nous conduire assurément vers des comportements et des desseins systématiquement bons
pour nous-mêmes.
La seconde, est qu'il nous faut garder à l'esprit, comme nous le rappelle Roger POL DROIT, que les règlesou les
limites, nous structurent en nous encourageant à éviter notre enfermement sur nous-mêmes. Il est urgent de re-
donner une signification aux limites et ainsi comprendre que fondamentalement elles ne sont pas là pour nous priver
mais pour nous conduire à entraîner une capacité à être Homme, celle-ci ne pouvant s'inscrire qu'au-delà d'une
liberté trop personnelle. La revendication d'une liberté trop personnelle déréalise le monde extérieur en lui ôtant
sons sens. Son sens étant de nous permettre d'humaniser nos actes, de nous permettre de rencontrer sur notre route
des expériences collectives diverses qui vont faire naître en nous des Idées [Note de bas de page : « D'où vient que
notre vie ne se fragmente pas en une simple succession d'évènements sans lien, mais se déploie comme sur une
scène unitaire ? Le rapport humain à la totalité vient de l'Idée (...) » Cf. Liberté et sacrifice. Ecrits politiques.
PATOCKA, 1990 ], des enjeux, qui pourront unifier les différents aspects de notre personnalité autour d'un Bien
plus grand que nous à poursuivre. Celui-ci nous rendant le service de nous détourner du chaos des exigences
pulsionnelles, qui se succédent seulement et ne mènent à rien de plus que l'enfermement sur soi-même du droit à
tout.
« reconnaître nos égards envers nos semblables » (Cf. L'Illiade ou le poème de la force, Simone WEIL) est une
Idée possible. Il y en a certainement d'autres...
La complainte de l'homme creux.
« Le sujet devient étranger à tout ce qui n 'est pas soi, comme si les yeux s'étaient retounés dans leurs orbite
pour ne plus regarder que leur prope cavités ». CF. La complainte des hommes creux, in La barbarie interieure,
MATTEI.
Le malaise de la modernité, TAYLOR y analyse les sources du moi (les hommes coupés des horizons moraux, 2la
priauté de la raison instrumentale, 3les individus qui retrecisent leur vies dans un repliement égoiste Tocqueville.
Il faut y ajouter le principe subjectiviste destructeurs des horizons de signification qui rendent possible un nsujet
authentique. Detruits il n'a y que des fragments psycho (hors du monde) et sociaux (dans le monde). Qu'est-ce que
l'humanité perd ? Quels comportements appauvris ? Plus de fins ! Sens et fin construise l'humanité. Sens et fins
sont des limites que l'on s'impose comme être humanisé et c'est ça la liberté, s'imposer les choses que l'on trouvent
élevantes et qui permettent de mieux vivre ensemble. Le aucune limite, le « tout pour le confort e ma
subjectivité », est un phantasme car il s'agit d'une fausse liberté. Subjectivisme est litteralement un derapage qui
termine en barbarie (0 limite c'est 0 humanité chez l'homme, je fais ce que je veux de l'autre puisqu'il ne compte
plus, ex de CAMUS : le corps non respecté après la mort).
La barbarie est la tendance à la dissociation, dissociation de soi des autres ! La barbarie historique c'était un tyran
qui peut tout, aujourd'hui c'est moi qui pense avoir droit à tout. Notre phantasme d'une subjectivité que rien ne vient
géner est identique. L'autre vient limiter ma liberté quand il ne m'est pas utile, donc je l'oublie !
Le subjectivisme (désordre des pulsions) et ses droits de tout, combat l'idée d'une progression possible dans le fait
de devenir plus humain ou humansé.
Le subectivisme qui enferme le sujet sur lui-même : si l'homme n'a plus de fin autre que lui-même cela le barbarise.
Des fractions d'homme des hommes-fonction, le sujet se pulvérilise lui-même.Perte de dignité si le sujet s'enferme
sur son Moi. Si l'intimité refuse la présence d'autrui, alors apparit une barbarie complaisante, le sujet nomade de son
propre désert. Vacuité de la vie sociale du sujet hédoniste contemporain. Un vide intérieur causé par un sujet qui
déréalise le monde extéreur en lui ôtant tout sens. La subjectivité sans but ni sens : être libre de tout, une ère
narcisique suicidogène. « Nous avons cessé de nous reconnaître dans l'obligation de vivre pour autre chose que
nous-mêmes » (CF. De l'égalité par défaut, BENETON, 1997). Hébété de vant sa propre image, balbutiant sa propre
image.
Auto-destructin du sujet.
Le début du subjectivisme remonte-t-il à Descartes ? Non, pour lui la créature reçoit de Dieu une dignité infinie.
Augustin a-t-il été le virage qui a enfermé le sujet dans son sanctuaire intérieur en le forçant à quitter l'extériorité :
« rentre en toi-même, c'est dans l'homme intérieur qu'habite la vérité » (Cf. De la vraie religion, XXXIX,
AUGUSTIN). PLATON recommandait le contraire (convertion du regard) : que l'homme prisonnier de la caverne,
s'arrache à la fascination des images qu'il produit lui-même (les paroies de la caverne), en se tournant vers
l'extériorité (le soleil – les Idées). PIC de la MIRANDOLE refuse le subjectivisme du chrétien. Chez Pic Dieu parle
en ces termes à Adam : « Je t'ai mis au milieu du monde, afin que tu puisses contempler tout ce que le monde
contient. Je ne t'ai fait ni celeste ni terrestre, ni mortel ni immortel, afin que souvenrain de toi-même tu achèves ta
propre forme librement (De la dignité de l'homme, PIC de la MIRANDOLE , 1486, Oeuvres philosophiques,
editions PUF 1993).
L'homme antique fondait sa hauteur de son âme sur le monde, cet au-delà du monde est chez PLATON le Bien. Le
chrétien fondait la dignité de la personne sur Dieu. L'homme moderne fonde son moi sur lui-même, un self conçu
comme sa propre suffisance. Pb : un moi qui exige le respect de lui-même sans se référer à un fondement commun,
peut se voir refuser ce respect par un autre moi. Le repli tautologique sur soi : la pensée réduite à un processus, une
conscience de soi vide. (Cf. Condition de l'homme moderne, Hannah ARENDT). Selon H.Arendt l'homme
moderne se retire à la fois du cosmos des grecs et se retire du monde commun, il libère son soi de toute adhésion et
de toute adhérence.
Cf. Le Gai Savoir, fragument 124 : La colombre kantienne qui se donne l'illusion de pouvoir voler dans le vide.
L'homme qui coupe les ponts avec la terre se retrouve seul avec lui-même.
SARTRE : il n'y a que des hommes et pas d'être. La subjectivité est l'individu.
Cf. Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, MARX : le fondement de l'homme est l'homme.
L'affirmation inconditionnée de la subjectivité moderne. La subjectivité est le projet collectiviste.
HEIDEGGER, La lettre sur l'humanisme : les Modernes disent qu'il n'y a que des hommes, mais en fait il n'y a
principalement que de l'être. C'est e fait MARX et SARTRE qui sont au tournant de la subjectivité fermée, repliée
sur elle-même. L'affirmation de la subjectvité moderne, « l'homme est enraciné sur l'homme et rien d'autre, n'est
autorisée de rien !Un homme déraciné du monde.
Paul VALERY « un homme seul est toujours en mauvaise compagnie » (Cf. Idée fixe, 1931).
Ernest BLOCH : « Dans un chez-soi trop privé, il se passe des choses peu rassurantes » (Cf. Traces, nostalgie sur
les ruines de la République de Weimar, 1930).
Hannah ARENDT, à propos du procès d'Eichmann, pense le criminel de guerre dans une totale absence de pensée,
sans pour autant être stupide. Il n'est ni démoniaque, ni monstrueux, sa vie personnelle témoigne en revanche qu'il
est incapable de penser. Il avait des arguments, des convictions, desc connaissances, mais pas de pensée. H.A se
demande si la mal n'est pas assimilable à un déficit ontologique, un vide de pensée. Eischeman était un sujet de
droit et un sujet tout court, « mais il lui était impossible de prendre conscience de ses actes et de les penser comme
mauvais parce qu'il lui était impossible de les saisir sous un éclairage autre que le sien. Si Eischmann avait pensé
une seule fois, une seule fois, il auarit suspendu cette machine administrative dont il était si fier, composé de rouage
continus d'ordres, de règles, de procédures(...) qui n'avait d'autre fin que la mort . » (Cf. L'éclair de la
transcendance, Barbarie intérieure, MATTEI).
La pensée a le pouvoir d'interrompre l'enchainement de la vie animale. « La pensée instaure une césure originelle
(...). Elle est ce hiatus qui permet à l'homme de supendre une action, d'interrompre un processus, d'établir une
rupture dans ce réseau tissé de désirs et de besoins, de nécessité et de soumissions, qui est le flux continu de la vie »
(Cf. Idem). Ainsi la pensée définit le critère éthique de l'humanité. L'expérience de la pensée nous ouvre sur une
altérité.
« reconnaître nos égards envers nos semblables » (Cf. L'Illiade ou le poème de la force, Simone WEIL).
Le sujet modern est réduit à la vanité de ses processus intérieurs, alors que l'home digne pense en deux modes : 1) il
cherche du sens plutôt qu'il ne cherche la connaissance, 2) il dialogue avec lui-même, grâce à un entre-deux, l'acte
de penser est une parole silencieuee que l'âme s'adresse à elle-même. C'est le cas chez PLATON et chez
DESCARTES. Le « je pense donc je suis » n'est pas le replis sur soi de la chose pensante, mais le ressenti du « je
suis, j'existe » : « j'ai reconnu que j'étais et je cherche qui je suis, moi que j'ai reconnu être » (Cf. Méditations
métaphysiques, méditations seconde, 1641, DESCARTES). Celui qui pense prend conscience qu'il est un être au-
delà de celui qui pense. La pensée conduit vers le sens et non le savoir ou connaissance.
Michel HENRY, La barbarie 1987 : La science cherche à connaître et non à penser, car elle ne s'oriente pas vers le
sens . La science cherche à produire des connaissances qui échappent à la signification de la vie humaine. La
science est neutre existentiellement et donc neutre éthiquement. Elle met à jour les relations de la conscience à ses
objets. La pensée elle est le savoir intime de l'existence ou la recherche d'un sens commun que nous devons
partager avec les autres hommes pour donner du sens à nos actes.
« D'où vient que notre vie ne se fragmente pas en une simple succession d'évènements sans lien, mais se déploie
comme sur une scène unitaire ? Le rapport humain à la totalité vient de l'Idée (...) » (Cf. Liberté et sacrifice. Ecrits
politiques. PATOCKA, 1990).
La pensée n'a pas d'objets, donc elle peut fournir une défense contre l'inhumain. La science non. Penser le mal, le
juger et s'en détacher car le mal et le Bien n'appartiennent pas à l'ordre de l'être ou celui de la connaissance.
Comment sortir du subjectivisme avec un psy ? Mieux comprendre le moi et ne pas ce méprendre sur ce qu'il n'est
pas. Voir le subjectivisme comme désordre des pulsions, je suis le résultata d'une histoire personnelle dont je dois
guérir à certains endroits, et non un ayant-droit par mes pulsions ni même par ma souffrance qui me pousse aux
actes.
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