Anxiolytiques et hypnotiques durant la pandémie : avoir peur de nos émotions et ne plus penser.

Publié le 10 mai 2021 à 14:42

Parmi les effets de la pandémie il y a l'augmentation des prescriptions des anxiolytiques et des hypnotiques. Dans
l'article « moins de prévention et plus de pilules » (vih.org, Etude pharmaco-épidémiologque, EPHI PHARE) on
prend connaissance que le « top des hausses » des préscriptions concerne les anxiolytiques et les hypnotiques. Cette
augmentation + 1,1 millions d'anxiolytiques et + 480 000 d'hypnotiques, est évaluée par rapport aux seuils prévus
et attendus pour chacun de ces groupes de médicaments. Les anti-dépresseurs quant à eux ont également augmenté
mais beaucoup moins.
Les anxiolytiques et les hypnotiques fonctionnent bien différemment des anti-dépresseurs. Si les préscriptions sont
plus que jamais en faveurs des deux premiers, c'est que l'usager, en parlant à son médecin, doit donner certaines
impressions sur lui-même pour qu'il le lui recommande. Comprendre le fonctionnement de ces deux médicaments
nous permettra de comprendre comment nous parlons de nous, de nos émotions pour que l'on nous invite à les
prendre.
Le anti-dépresseur s'occupent de la sérotonine, mais ils n'en produisent pas. Cette dernière est un élément naturel de
notre corps. Loin d'être l'hormone du bonheur telle qu'on la présente souvent, elle est un neuromodulateur (un
neurotransmetteur qui régule) qui donne à l'individu l'état d'esprit, l'envie, de se maintenir dans les situations qui lui
sont favorables. Si la sérotonine est trop dégradée dans le cerveau d'une personne, il y a risque de dépression, le
sujet n'a plus assez de préoccupaton pour lui-même, ou ne croit plus assez en ses chances pour se maintenir dans
des situations qui lui sont, ou lui seraient, favorables. Pour la même raison, il va augmenter les situations à risques
pour lui-même. L'anti-dépresseur face à cette dynamique « négative », ne paralysera pas les ressentis négatifs. Il va
ralentir la vitesse de dégradation de la sérotonine. Il va permettre donc que nous en ayons plus longtemps dans notre
cerveau. [95 % de la sérotonine produite par la muqueuse gastro-intestinale passe dans le tube digestif puis le sang,
mais elle ne sera pas présente dans notre cerveau. La sérotonine présente dans notre cerveau représente une très
petite quantité de la sérotonine de notre corps, elle est donc d'autant plus précieuse.] Sans anti-dépresseurs,
naturellement elle va être pompée, par les terminaisons des fibres nerveuses, ce qui va en diminuer la quantité au
niveau des synapses de notre cerveau. Les anti-dépresseurs vont ralentir la vitesse de ce pompage chimique naturel
et ainsi quand la sérotonine va etre déversée par la fente synaptique, elle ne sera pas recapturée, dégradée, aussi
rapidement qu'elle aurait pu l'être par les neurones présynaptiques. Les anti-dépresseurs ne vont pas augmenter la
production de la sérotonine, mais permettre qu'elle reste plus longtemps présente, avec ses effets favorables sur
notre cerveau réactif, au lieu d'être naturellement vite indisponible !
Les anxiolytiques et les hypnotiques n'ont pa du tout ce fonctionnement. Les hypnotiques induisent la somnolence,
et les anxiolytiques (chargés de gérer les peurs et l'anxiété si elles sont omniprésentes) ralentissent l'activité des
neurones. Le ralentissement des neurones se traduit évidemment par une ralentissement de la concentration, de la
mémoire, de l'état psychomoteur, ainsi que par une baisse de la vigilance, par l'altération de l'état de conscience
(causant insomnie, cauchemar, etc) et par la déstructuration de l'organisation des étapes du sommeil. Du fait de ces
conséquences, la législation prévoit des limites à la préscription : elle prévoit 12 semaines de préscription pour les
anxiolytiques et 4 smaines pour les hypnotiques.
Qu'est-ce que ce détour par des fonctionnements moleculaires différents nous permet-il de comprendre ? Le bilan
durant la pandémie est le suivant : les préscriptions qui ont augmenté durant cette période, sont celles qui ralentisent
les compétences et les facultés de chacun, celles qui réduisent les capacités cognitives qui nous permettent de nous
impliquer dans les situations de notre vie. Les préscriptions en hausse durant la pandémie sont celles qui
ralentissent la prise de décision, la concentration, les motivations, etc. Tandis que les anti-dépresseurs, qui nous
laissent plus longtemps avec notre taux naturel de sérotonine, taux que nous permet de mieux gérer les difficultés,
taux qui nous permet de réaliser des choix plus proches des situations à notre avantage (puisque la sérotonine
améliore considérablement notre évaluation des incidences dans nos décisions) ; n'ont pas été privilégiés.
Pourquoi ? Les professionnels de santé n'ont pas dirigé vers ce qui améliore nos prises de décision, mais au
contraire ont invité à avoir recours à ce qui diminue notre vigilance. Bien loin de leur prêter une mauvaise
évaluation, commençons plutôt par nous demander comment nous leur parlons de nos émotions, comment nous
nous y rapportons devant eux, pour induire une préscription qui nous en déleste, nous en sépare !
Une personne qui prend rendez-vous chez un « psy » avec ses peurs, son anxiété, ses soucis qui viennent la relancer
les nuits comme si la hanter de jour ne suffisait plus, se doute q'il va falloir se poser quelques questions et faire
l'effort de comprendre un peu mieux son fonctionnement. Même si le « psy » est là pour l'aider à saisir ce qui dans
sa constuction mentale et émotionnelle peut devenir des zones à risques, des zones de doutes, elle sait , quelque
part, qu'elle va devoir s'intéresser à elle-même. En revanche, si chacun cherche dans sa mémoire les souvenirs des
moments où il a évoqué auprès d'un médecin ses souffrances psychologiques, on se rend compte qu'il en va tout
autrement. Devant un médecin on parle des maux psychiques comme on parle des dysfnctionnements du corps. On
décrit des anomalies dont il faut nous débarrasser. On parle comme si il s'agissait de pensées, de ressentis qu'il faut

à notre place réparer ou extirper. Le médecin y répond sans doute tout aussi systématiquement en préscrivant des
anxiolytique et des hypnotiques qui mettent à distance ces souffrances comme un précieux paracétamol contre les
émotions fortes et hostiles ! Pourtant il y a une grande différence. Si un corps endolori ou malade est un corps qui
dysfonctionne, qui est traversé d'une anomalie qui l'éloigne des normes fonctionnelles qui caractérisent la santé,
l'approche n'est pas la même pour comprendre les soufrances psychiques qui ne sont pas des maladies. Bien souvent
les souffrances psychiques ne sont pas les conséquences d'une pathologie mentale. C'est ce que montre la
recrudescene des préscriptions d'anxiolytique et hypnotiques. Ces médicament ne soignent pas les vraies maladies
mentales, ils sont tout autant adressés à « Monsieur et Madame tout le monde ». Si donc les souffrances qui nous
empêchent de vivre « normalement » note vie ne sont pas des anomalies dans notre fonctionnement psychique, que
sont-elles alors ? Elles sont dues à des évènements cumulés que nous avons fini par mal gérer, par fatigue
psychique, à cause des évènements ponctuels, précis, que nous aurions pu bien mieux absorber si ils n'étaient pas
venus sur un terrain psychique déjà éprouvé. Par exemple, nous n'avons pas au bon moment la ressource nerveuse
pour bien digérer une situation et y faire face sans de vrais dommages, car ce sont parfois des évènements qui dans
leurs significations profondes (et non dans leur apparences) ressemblent à des évènements plus anciens qui nous
ont marqué et nous les confondons inconsciement entre eux... Si ceux du passé n'ont pas été bien gérés, ceux du
présent que notre cerveau perçoit comme ressemblants, auront le même effet sur nous. En somme ce sont nos
histoires de vie qui nous amènent chez le médecin à énoncer : « je ne veux plus ressentir cela », « je ne veux plus
mal dormir », « je ne veux plus pleurer », « je ne veux plus de nausées ni de boule au ventre », etc. Mais énonçant
ainsi nos demandes, nous présentons les choses à l'inverses de ce qu'elles sont : comme si nos souffrances étaient
juste des symptômes sans histoire, des choses à rejeter dont il n'y a rien en comprendre. Puisqu'elles n'ont pas de
sens et sont là juste pour nous embêter, nous demandons seulement à en être soulagés, à en être littéralement
libérés. Le médecin habitué à considérer les dysfonctionnements du corps, ne pourra que suivre la demande ainsi
faite. Pourtant, parler nous-mêmes ainsi de nous est bien une erreur et la pandémie nous permet de le compendre.
Comment faut-il alors nous rapporter à nous-mêmes pour éviter la situation invraissemblable de payer le prix du
soulagement ? Il est très fréquent d'entendre un certain désintêret pour soi lorsque les personnes viennent
volontairement dans le cabinet d'un « psy ». Elles ne présentent pas les pensées et les émotions devenues
insupportables de la même manière que devant le médecin, car la demande n'est plus en direction de leur
supression, mais en direction d'un retour à l'état dit initial : « je n'étais pas comme ça avant, ou pas autant, je
voudrais redevenir comme avant ! ». C'est déjà un progrès car la demande de confort, ou la demande de la
suppression de l'émotion encombrante est cette fois-ci accompagnée d'une auto-évaluation, d'une comparaison
personnelle entre « soi avant » et « soi maintenant ». On s'intéresse déjà un peu à soi puisque l'on vient chez « le
psy » pour dénoncer un écart et le refus de cet écart.
Les hypnotiques et les anxiolytiques n'ont répondu qu'à la demande de ne rien savoir de la rupture d'avec nos vies
d'avant : « je veux me sentir sans anxiété, comme si rien n'avait changé ! », « vivement que nous retrouvions la
vraie vie, vivement que tout redevienne normal, je me sentirai enfin mieux », « vivement que tout cela finisse ».
Nous pourrions presque oser reformuler « je veux ne plus ressentir la pandémie, je ne veux pas ressentir le
confinement, je ne veux pas vivre que cette vie est différente ». Les psychanalystes connaissent bien cette demande
d'une image de soi idéale que l'on voudrait fixe, cette demande d'une identité immuable sans bouleversement, sans
épreuve, comme si l'on pouvait traverser une vie sans perdre un peu de ce que l'on a été ou de ce que l'on a cru être
ou vivre. La certitude de pouvoir vivre les choses sans en être bouleversés, sans en être profondément inquiété, en
allant toujours bien, lissé, est un des visages que peut avoir le moi-idéal qui lui-même est un des paramètres
« normaux » que nos mettons en place involontairement pour nous rapporter à nous-mêmes, même si c'est une
illusion. Ce qui est alarmant, c'est de constater que la pandémie a mis à jour en peu de temps ce qui prépare depuis
longtemps à savoir le refus chez beaucoup de personnes « saines » d'évoluer avec le réel. Les émotions et les
pensées qui rendent anxieux, ou insomniaques, témoignent que nous ne pouvons, de cette réalité face à nous, tout
digérer. La pandémie est une expérience collective, donc nous sommes tous en même temps mis à l'épreuve dans
notre refus de l'épreuve, mais cette difficulté à accepter qu'un réel en face de nous nous emmène et qu'il est plus réel
qu'une image de soi fixe, existe déjà avant. La vulgarisation des prescriptions a certainement depuis des années
favorisé la possibilité de regarder le monde qui nous entoure comme étant juste un environnement dans lequel nous
nous organisons plus ou moins à notre convenance, alors qu'en fait il est ce qui nous impacte, ce qui nous oblige en
permanence à digérer des choses et à en être modifié, à se sentir à la fois toujours soi et toujours différent d'avant.
Ce que nous n'acceptons pas tous. Notre erreur de vouloir nous fixer dans une identité que nous aimons (celle d'une
époque dont on se dit que tout allait mieux) n'est pas là pour rien. Nous faisons cette erreur car elle est rassurante
(nous pouvons être rassurés de n'avoir rien perdu de ce qui se passait bien), mais elle nous entraîne à avoir peur
des émotions négatives envahissantes, alors que celles-ci ne font que nous indiquer que nous avons du mal à
digérer, à assimiler, ce que nous vivons et à nous en modifier pour le suivre. Elles nous indiquent que nos vécus
passés nous ont laissé sensibles à certains endroits et nous rappellent que nous devons non pas supprimer les
indicateurs mais mieux sortir de notre passé pour continuer vers ce que nous pourrons être de mieux encore.

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.

Créez votre propre site internet avec Webador