Durant ces périodes de confinement, les vols ont diminués, sans doute du fait de la fermeture de
bon nombre d’entreprises qui ont assigné à résidences plusieurs professionnels. En revanche l’agressivité
dans les relations et celle des agressions physiques ont augmenté. Parmi ces agressions en augmentation
on compte bien sûr les violences conjugales et familiales, mais aussi toutes celles, qui, avec moins de
proximité intime, sont aussi des agressions et qui se déclenchent dans la communication adressée à
l’autre.
La violence physique et celle verbale naissent dans la relation et en partie dans la communication. D’où le
fait que depuis quelques années on entend l’essor pris par les enjeux et les méthodes de communication
non violente. La communication non violente a ses écueils comme toutes trousses à outils qui voudraient
solutionner universellement des problèmes riches dans leurs difficultés et leurs complexités. Cependant
elle met à jour et transmet en mots simples une tentative de comprendre comment la communication entre
les personnes, les agresse et comment éviter d’être agressé par la communication de son interlocuteur.
La violence physique et verbale, celle conjugale, celle familiale, celle professionnelle, celle de l’inconnu dans la
rue, sont toutes les effets de l’histoire de chacun. Il est donc impossible de stopper la violence avec une
méthode pour tous et pour chaque catégorie de processus psychologiques de violence. Malgré tout,
l’approche de la communication non violente a le mérite de mettre à jour la violence que l’on peut
éliminer de la communication, en espérant que cette communication ainsi épurée, ne sera plus le lieu du
déclenchement de la violence, chez ceux qui ne peuvent pas encore faire sans cette dernière.
Que supprime cette communication non violente de la communication ordinaire (dite violente) ?
Que propose-t-elle à la place ? Pouvons-nous ainsi, en l'ayant compris, tout simplement, sans formation,
l'utiliser et nous protéger quelque peu des mauvaises réactions de nos interlocuteurs privés et
professionnels ?
La CNV n'est pas une nouveauté, elle a été élaborée par un docteur en psychologie américain,
Marshall Rosenberg il y a plus de 50 ans[6]
, et son manuel est accessible depuis plus de 20 ans. L'arrivée
en France de la CNV est toute aussi ancienne, introduite par l'ouvrage d'un avocat, consacré aux
applications de cet outil à la médiation[7]
. Quant à M.Rosenberg il explique lui-même que la conception
de l'outil que représente la CNV n'est que la traduction technique des travaux d'un autre psychologue
américain dont il fut l'élève, Carl Rogers[8]
. Si il a fallu du temps pour que nous nous servions de cette
approche de la communication, au point de la présenter comme une trouvaille révolutionnaire et récente
alors qu'elle ne l'est pas, c'est qu'elle est avant tout une approche professionnelle très loin de la pratique
de la psychologie en France et que n'a été perçu dans un premier temps que l'aspect moral, « belle âme »,
derrière les expressions « approche humaniste », « relation bienveillante », qui jalonnent ces ouvrages.
Effectivement s'attaquer à la violence dans les relations et celle présente à notre insue dans nos
communications ordinaires, ne peut pas relever seulement d'une belle intention et d'un cœur plein d'élans
de bonté. Toutefois si on entre scrupuleusement dans le travail de lecture de ces ouvrages, on y découvre
bien plus. C'est ce « bien plus » qui n'a pas été vu assez vite par les professionnels français.
Le fond de pensée de ces deux professionnels tient à 4 points, 4 causes de la violence dans la
communication entre deux personnes ou avec un groupe.
(1) D'une part, la communication déclenche de la violence quand celui qui s'exprime est confus avec lui-
même et que son propre besoin reste insatisfait. Confusion et insatisfaction se tiennent tout deux derrière
son discours. Cette confusion de l'écouté, perçue inconsciemment ou consciemment par son interlocuteur,
l'écoutant, fait vivre à ce dernier, à son tour, un malaise insécurisant face à celui qui parle. Il se sent alors
menacé et va réagir à cela.
(2) D'autre part, la communication ordinaire contient de la violence, aussi, dans notre réflexe inconscient
d'appréhender les choses et les gens systématiquement à travers des jugements en terme de « vrai » ou de
« faux », (3) des évaluations en terme de « bien » et de « mal ». Il faudrait donc dans la phrase écoutée,
passer de l'impression que l'écouté m'agresse en m'imposant ce qui est vrai ou faux (jugement), à mon
désir d'écoutant de comprendre la logique de l'autre comme n'étant que l'ensemble de ses représentations,
de sa cohérence propre. Celle-ci perçue comme ce qui me donne accès à lui, pour moi qui l'écoute. De
même il faudrait dans la phrase dite, passer du jugement à l'observable, passer du « tu es fainéant »
(évaluation négative) à « cela fait une semaine que tu n'es pas sorti » (fait observable). Face aux
communications qui contiennent jugement et évaluation, en tant qu'interlocuteurs nous allons évidemment
nous défendre, et rappelons qu'actuellement nous répertorions pas moins de 19 défenses parmis celles
conscientes et inconscientes...
(4) La communication contient et déclenche également de la violence, car le langage, les mots dans leur
stabilité, les phrases, dans leur organisation normalisée, nous invitent à penser que la réalité est elle-même
fixe et que nous ne pouvons parler que pour décrire cette stabilité. Ce qui nous fait rater nos demandes,
puisqu'elles elles portent sur des actions à venir, que nous attendons : « tu ne m'as pas dit bonjour !» (fait
passé décrit comme éternellement figé), « je vois que tu ne me dis pas bonjour ! » (ici et maitenant décrits
éternellement figés). Si on fait l'effort de se centrer sur notre demande, sur notre attente d'une action de
l'autre, une action à réaliser dans le futur (immédiat ou pas), même sans faire partie des élus d'une grande
bonté d'âme, notre phrase aura de toutes façons un autre visage : « n'oublie pas de me dire bonjour ! »,
« tu vas sans doute me dire bonjour !», « je te demande stp de me dire bonjour ».
(5) Enfin la communication ordinaire véhicule une attaque tacite lorsque bien souvent, non conscients
de nos ressentis, nous les transformons, sans délai, en actes attribuables à l'autre et ce, sans nous en rendre
compte. Ainsi la frustration que je ressens devant l'autre, je la décris comme étant la frustration que l'autre
me cause directement, alors que c'est moi seul qui la génère par le vecu personnel, le regard personnel que
j'ai sur l'intervention de l'autre (que l'autre veuille ou pas me frustrer). Une bonne partie du langage est
habitée par la description des intentions que l'on attribue à l'autre avec certitude, et nous ne parlons pas
alors de nos ressentis en faisant cela, alors que nous ne vivons qu'avec nos ressentis, nos sentiments. Que
l'autre ait ou non les intentions que je lui donne, il reste inébranlable qu'un autre que moi aurait eu des
ressentis différents sur le comportement de mon interlocuteur. Peut-être aurait-il eu des ressentis proches
des miens, mais nuancés, différents, et du reste il ne leur aurait pas accordé la même place que je le fais,
ni exactement les mêmes mots. Ce qui oblige à reconnaître que nous n'avons accès qu'à nos ressentis et
c'est bien eux qu'il faut décrire plutôt que les actes de l'autre. Curieusement, l'autre n'est plus agressé et je
ne m'agresse pas pour autant !!! « J'ai le sentiment que tu ne m'aimes pas » n'est pas l'expression d'un
sentiment, mais de ma décision d'attribuer une intention à l'autre. Dit-on vraiment la même chose, si l'on
remplace par : « j'ai peur que tu ne m'aimes pas, je ressens ce que l'on ressent quand on croit que l'autre ne
vous aime pas, ce sentiment en moi ne s'en va pas » ?
Une fois que ces clefs qui ouvrent la violence sont identifiées, que nous proposent les professionnels
cités ? De faire sans elles ! Commencer par décrire de manière descriptive ce que l'on a vu, entendu, les
faits, les attitudes observé(e)s. Puis immédiatement après (sans vouloir justifier d'une causalité entre les
deux étapes) clarifier ce qui se passe en soi (quel est mon sentiment ?). Ensuite, identifier le besoin causé
par ce sentiment en nous (je ressens la peur, la colère, la tristesse, l'étonnement, l'incompréhension, le
désarroi, l'inquiétude, l'anxiété, la méfiance, etc...., alors j'ai besoin que tu me rassures, que tu répares ce
préjudice, que tu me re-donnes ce que je crains d'avoir perdu, que tu me calmes, que tu m'expliques, etc.),
et enfin exprimer la demande d'action précise qui permettra la satisfaction de ce besoin, l'action que vous
proposez à l'autre de réaliser pour vous (« tu pourrais peut-être... ? »).
Evidemment on peut objecter que cela manque de spontanéité. Nous sommes habitués à croire à
l'ordinaire que nos mots et nos phrases sont immédiatement en contact étroit avec ce que nous ressentons.
Pourtant il n'en est rien (c'est ce que regarde à la loupe la CNV) et cela violente l'autre à qui l'on s'adresse
(ce qu'en déduit la CNV).
Faire l'effort toute une journée d'assujettir le langage à notre Observation (nous astreindre à décrire les
faits que nous sommes conscient de voire, nous) nous demande un vrai effort et par celui-ci nous voyons
que nous étions plutôt enclin à décrire ce que nous pensions que tout le monde voyait.
De même, chercher, malgré la pauvreté de notre vocabulaire affectif (« ça va ! », « ça ne va pas ! »), à
mettre le langage au service du ressenti, du Sentiment que nous avons, nous demande un effort. Il nous
était bien plus facile, plus rapide, de décrire ce que nous pensions que l'autre voulait nous faire vivre ou ce
que l'on pensait qu'il pensait de nous (notre perception de lui).
Exprimer en mots nos Besoins n'est pas plus évident. Ce qui était évident jusqu'à présent c'est que
l'expression de notre besoin ne se disait pas, puisque ce qui vient spontanément c'est la gêne à exprimer en
mots notre besoin, comme si il s'agissait d'une mise à nu devant les autres, d'une faiblesse. Si nous avons
tant de mal à disssocier l'expression verbale de notre besoin d'une évaluation négative, comment
l'expression verbale de notre besoin aurait-elle pu être ce à quoi nos mots adhéraient ?
Quant à l'expression verbale d'une Demande précise, il suffit de la tenter pour voir que nous formulons
facilement non pas une demande, mais une exigence : autrement dit, une défense contre l'anticipation du
refus de l'autre. Il faut une condition non-naturelle pour rendre fluide l'expression d'une demande. Il faut
être prêt à écouter vraiment ce qui empêche l'autre de faire ce que nous lui demandons. Nous savons que
nous n'en sommes pas toujours là...
Alors faut-il se décourager devant le post-it sur lequel nous avons inscrit : « OSBD tous les
jours » ? L'analyse en cabinet témoigne tous les jours de l'étonnement des analysés, de leur trouble, de
leur expérience d'être quelques secondes sans ressources, sans mots, quand le psychanalyste demande de
mettre des mots sur le ressenti du moment, sur celui familier qui a toujours été là, sur leur crainte alors
qu'ils ont pris l'habitude de ne pas s'y arrêter. Pourtant ils le font et toujours de mieux en mieux !
La CNV nous demande de faire une petite partie de ce travail que réalise un patient en analyse, une toute
petite partie..., et de le faire tous les jours. Alors pour nous donner un peu de courage devant le post-it,
disons-nous que nous avons vraiment peu à y perdre. Mettre quelques minutes à s'exprimer au plus juste
plutôt que quelques secondes dans l'erreur, c'est peut-être beaucoup à y gagner !
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