Maintenant que la vaccination est obligatoire, maintenant, que le temps qui nous a été accordé pour accéder
librement à la manière dont nous souhaitions être responsables face au virus, est écoulé, nous pouvons rassembler
les quelques raisons connues qui ont permis aux uns et autres de choisir d'être ou non vaccinés.
Pour l'essentiel il semble que la décision d'être vacciné ait pu être prise pour les motivations suivantes : la
volonté de retirer le masque, le désir de retrouver des festivités ou des loisirs collectifs, l'assentiment déjà donné par
le passé au principe de la vaccination, la crainte pour sa santé et le refus de risquer une mort prématurée. Quant aux
raisons de refuser les vaccins, elles semblent plus floues. Il y a les théories du complot qui témoignent de la
difficulté psychologique à supporter l'idée même de dangers imprévisibles qui nous exposeraient à l'échelle
planétaire. Ensuite, vient pour certains l'opposition politique, pour d'autres le crédit accordé à certaines craintes
scientifiques.
Ce qui est intéressant c'est la difficulté commune aux deux camps. Il s'agit d'une difficulté, ou d'un manque,
qui circule très discrètement, en filigrane, à travers presque tous ces arguments. En effet, à part la crainte de mourir,
tous ces arguments ont en commun l'absence d'affirmation d'une efficacité individuelle, voire personnelle. Ce que
j'estime être mon droit de retirer le masque, ne questionne pas les conséquences immédiates de mon acte sur l'autre
en face. De même revendiquer le droit de faire la fête, ne questionne pas les conséquences directes du
désengagement moral, sur ce groupe . La vision du « vaccin familier », l'image du vaccin qui vient juste s'ajouter à
la série de ceux que nous connaissons depuis notre jeune âge, ne questionne pas les effets engendrés
potentiellement sur soi-même. L'opposition politique ne questionne pas les effets visés concrètement. Les craintes
scientifiques interrogent les conséquences des vaccins sur les corps sains, mais ne listent pas des points de vigilance
à l'aune desquels chacun pourrait choisir activement de quoi il souhaite protéger son corps. Enfin, les théories du
complot semblent inviter à ne rien entreprendre, puisque le virus ne serait pas réel.
Seule la crainte de mourir, comme argument en faveur de la vaccination, témoigne d'un élan, d'une recherche,
d'efficacité personnelle : je pense pouvoir faire par moi-même quelque chose qui pourrait fonctionner.
Dans les explications qui portent sur la propagation du virus et sur les solutions vaccinales, l'engagement à la
responsabilité collective a été clairement demandé à travers l'attention à l'autre. Faire attention à sa propre santé ne
pouvait pas être suffisant face à la pandémie, il fallait aussi inviter à l'engagement éthique : faire attention à la santé
de l'autre. Cependant, qu'il s'agisse de la protection de soi ou de l'autre, l'évaluation de l'efficacité de chacun semble
avoir été bien moins mise en évidence que ces recommandations. « Pour la santé de tous, conservons les gestes
barrière » avons nous entendus maintes fois et entendons nous encore à bon escient. Mais quelle efficacité avons
nous chacun, à chaque fois que nous le faisons ? Quelle efficacité ascendante ou descendante se joue selon notre
masque ? Nos distances ? Il faut les respecter, il faut le porter, il faut entretenir lesdits gestes, mais très peu
d'affiches ou de campagnes d'informations nous ont permis d'évaluer notre « maîtrise » dans les conséquences de
nos efforts. En somme, il faut s'engager collectivement et uniformément pour lutter contre une adversité, tout en
renonçant presque à la possibilité de se voir efficace individuellement. Aujourd'hui encore on s'interroge sur :
« quelle efficacité se joue dans mon corps, le jour de ma vaccination ? ».
L'expression « maîtrise personnelle » qui se cache derrière celle d' « efficacité personnelle » est très souvent,
en France, associée à deux compréhensions négatives. La personne qui vise une maîtrise personnelle dans ses
efforts est tantôt perçue comme une personnalité dominatrice, voulant exercer un pouvoir sur l'autre, tantôt perçue
comme celle qui court après une impossibilité : « je voudrais tout maîtriser même si je sais que ce n'est pas
possible ! ».
Au Canada, on a pu, derrière cette expression, mettre à jour le besoin, qui serait propre à chaque individu ;
celui d'une auto-efficacité. Cette notion, une fois qu'elle est bien comprise, nous permet de saisir plus facilement ce
qui, en tant qu'être humain, nous a manqué pour pouvoir nous diriger plus activement et personnellement vers un
choix sanitaire.
En 1997, quand Albert Bandura, chercheur émérite, écrit son livre (Self-Efficacy) sur la nécessité pour un
être humain de se sentir personnellement efficace, il démontre qu'un être humain n'a aucune raison d'agir si au
préalable il ne peut pas croire en sa capacité à maîtriser quelque chose des événements qui affectent son existence.
Si il n'a aucune raison d'agir, il a peu de chances d'agir. Ici, rien d'une pulsion dominatrice, ni d'un état d'esprit
irrévérencieux, ni d'un désir fou, obsédant et irréalisable. Il est question plutôt du dépliement de notre besoin
humain de concevoir que l'on peut produire les résultats que l'on vise, par nos actions. En lisant ces mots, nous
sentons déjà monter en nous cette remarque : « qui peut bien s'imaginer produire les résultats qu'il désire par ses
actions dans vie ? ». Pourtant, si nous nous y arrêtons honnêtement quelque minutes, comment persévérer face à
une difficulté, comment un sujet peut-il maintenir des efforts, sans croire réellement en cette possibilité ? Le
sentiment d'une efficacité personnelle est antérieure aux autres motivations et la plus forte, nous dit ce professionnel
de la santé. Les autres buts, les autres attentes de résultat sont secondaires.
Qu'est-ce qui prouve l'existence de ce besoin d'auto-efficacité ? Comment fonctionne le sentiment d'auto-
efficacité qui y répond ? Que signifie-t-il précisément ?
La personne humaine n'est ni une personne parfaitement autonome dans ses actions, ni un prisonnier poussé
seulement à réagir automatiquement aux contingences de son environnement, ni même une marionnette mue par un
mimétisme pur. Une personne humaine anticipe les réactions de son environnement et les interprète selon ses
paramètres personnels. C'est ce qui prouve qu'il ne faut pas avoir des neurones-miroirs une image trop simpliste...
Elle interprète ce qu'elle anticipe au sens ou elle donne un sens valable ou non à ses anticipations. Elle va ensuite
engager sa capacité à agir en fonction de ce qui lui semble valable. Sa capacité à agir sera donc intentionnelle.
Cette première succession d'étapes est ce que ce chercheur nomme l'auto-régulation, plus ou moins consciente,
(plutôt moins que plus) chez l'être humain.
Intervient ensuite l'auto-évaluation. Que l'on en ait conscience ou pas, chacun se promène dans sa vie avec
une auto-évaluation de ses actions : nous avons la mémoire de toutes celles que nous avons vu aboutir et des autres.
On le comprend aisément, l'auto-évaluation des réussites entretient le sentiment d'efficacité. Mais qu'en est-il des
échecs ? Si ils peuvent à nouveau être traités par le processus d'auto-régulation ( être interprété autrement que
précédemment afin de leur donner une autre dimension qui va les rendre porteur d'une information plus valable
donc donnant à son tour l'idée d'une autre manière d'agir), notre sentiment de pouvoir atteindre un but à travers nos
actions, sera maintenu. En revanche si, une fois que nos anticipations antérieures dont les interprétations ont conduit
aux échec, sont identifiées, nous ne parvenons pas à les interpréter nouvellement (auto-régulation), le sentiment de
notre efficacité personnelle s'amenuisera.
Il ne s'agit donc pas de savoir à l'avance ce qu'il faut faire, pas d'avantage qu'il ne s'agit d'appendre de nos échecs.
Les preuves empiriques de l'existence de ce besoin d'efficacité personnelle (qui repose sur l'auto-régulation et
l'auto-évaluation) sont dans les conséquences collectives de son appauvrissement. Si le sentiment d'efficacité
personnelle n'est pas entretenu, la vulnérabilité collective au stress et à la dépression augmentent, tout comme la
persévérance face à l'adversité diminue.
Ne reste plus alors qu'à nous demander si nos réactions d'impatience à l'égard de nos manques de libertés
(contrainte du masque, contrainte des distances, privations des sorties, etc.) durant ces pandémies, ne traduisent pas
en fait une de ces vulnérabilités face à l'adversité, que représentent les variantes du virus ? Nos légères indifférences
à nous soucier de nos efficacités face à elles, ne témoignent-elles pas que nous n'entretenons pas en nous ce dont
nous avons besoin ?
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