Article 2, suite au rapport de la CIASE 05/10/21) Une fois devenus adultes, quelles traces particulières gardent les enfants qui ont été abusés par un pédophile ?

Publié le 15 décembre 2021 à 14:51

Essayer de rendre clairement compréhensibles les deux traces que porteront, adultes, les enfants
abusés par un pédophile, implique que l'on soit d'emblée dans une autre perspective que l'éloge d'un martyr. Ce qui
est spécialement difficile à porter pour l'adulte dans le passé de sa rencontre, enfant, avec un pédophile, c'est qu'il
est conscient de ne pas avoir été abusé de manière agressive ou violente.

Un adulte qui abuse d'un enfant de manière agressive ou violente, n'est pas un pédophile, c'est un
violeur. La construction dans la tête qui pousse à l'agression sexuelle de manière brutale n'est pas celle du
pédophile. Ce dernier va obtenir de l'enfant ce qu'il désire, en ce sens il va le soumettre (aux désirs qu'il a pour lui),
mais cette soumission est envisagée par le pédophile et présentée par lui à l'enfant, comme une attente réciproque,
un partage (voire article de novembre). Le violeur, lui, n'a pas besoin d'une compréhension mutuelle et n'est pas
porté à en convaincre sa victime ; le pédophile si.

De même, le pédophile n'est pas le parent incestueux. Là encore, les deux noms désignent des
différences importantes dans ce qui est recherché par l'adulte qui abuse de l'enfant. Contrairement au violeur, il
n'aura recours à aucune contrainte, mais contrairement au pédophile, il ne verra pas son enfant comme son égal.
Pédophile, violeur et parent incestueux, sont donc, dans la tête, trois constructions psychiques distinctes, même si
toutes trois conduisent à des sollicitations et des actes sexualisés identiques, condamnables moralement et
condamnés légalement. Par conséquent, elles causent chez leurs victimes, des traces qui resteront toutes à vie, mais
toutes, très différentes.

Les trois constructions psychiques ont en commun de mêler désir sexuel et relation d'emprise,
cependant ce qui leur est commun s'arrête là. Si l'on perçoit bien les différences d'approches, qui renvoient chacune
à des passés différents, alors on devine qu''être victime d'abus sexuel ne conduit pas seulement aux cauchemars

répétitifs d'agressions. Si il ne suffit pas pour abuser sexuellement des enfants, d'être en proie à des pulsions non-
retenues, de même le traumatisme subit ne se délimite pas essentiellement à la relation sexuelle subie. C'est ce que

nous nous proposons d'expliquer ci-après.

Des relations très dif érentes

Par « relation » il ne faut pas entendre seulement la relation sexuelle. Ici le mot « relation » désigne
une relation en général. Au-delà des actes sexuels et des gestes sexualisés, il recouvre toutes les autres dimensions
d'une relation. Une relation c'est ce que l'un représente pour l'autre et réciproquement, c'est aussi ce que l'autre
envoie comme message à l'un et ce que l'un en comprend, ce qui le marque ce qu'il va en retenir, en plus des actes
subis. C'est à travers ces dimensions qu'ils font vivre, que violeur, parent incestueux et enfin pédophile, se
différencient radicalement, là où les actes sexuels sont identiques.

Le violeur passe par une relation d'emprise physique car pour lui l'homme ou la femme agressé,
représente une excitation sexuelle qui est vécue comme un pouvoir que sa victime aurait sur lui. Il faut donc qu'il
l'agresse, il n'y aura à ses yeux qu'un dominé : lui ou elle. C'est la nécessité du passage à l'acte qui est travaillé dans
l'accompagnement professionnel des agresseurs sexuels. Quand le travail thérapeutique réussi, ou quand il échoue,
c'est toujours sur cette clef de voûte de l'emprise sexuelle que représente sa victime et qu'il doit inverser, qu'il doit
faire cesser, en l'agressant. Même si il passe par les détours du harcèlement moral avant la contrainte physique, cette
contrainte qu'il finira par exercer sur le corps de l'autre lui semblera légitime, car nécessaire, sinon il se sent
angoissé par ce que lui fait ressentir sa victime.

Le parent incestueux quant à lui ne voit pas son enfant comme ayant un pouvoir menaçant sur lui. Au
contraire, le parent incestueux ressent un désir sexuel fort pour son enfant, parce que son enfant représente un
individu sexué qui lui est donné, qui est là pour lui. Provenant de lui il est bien plus qu'accessible, il lui revient de

droit. L'interdit de l'inceste si important pour les psychanalystes dans la compréhension de nos petites névroses, n'a
pas pu s'installer comme il l'aurait dû dans l'inconscient du parent incestueux ; il en résulte que ce parent à une
compréhension accrue, excessive, jusqu'à la jubilation psychologique (qui va ensuite causer directement celle
sexuelle) de la situation de son enfant et de la sienne. C'est un parent qui a conscience de sa propre situation au sens
où il a conscience d'être la seule source de l'interdit de l'inceste et donc de pouvoir s'y soustraire. C'est un parent qui
a bien compris qu'il fait seul et totalement Loi dans l'interdit de l'inceste : c'est le père qui a conscience que c'est lui
qui induit chez l'enfant le renoncement à la mère désirée ; c'est la mère (puisque des mères aussi peuvent abuser de
leurs enfants) qui a conscience que c'est entre ses mains à elle que réside la décision d'induire ou pas chez l'enfant
son accord face aux désirs infantiles de possession. Enfin c'est un parent qui a excessivement conscience de la
situation de l'enfant : celle d'un être humain qui n'est pas à convaincre, qui tombe sous la Loi de la figure parentale,
qui ne peut lui dire non aussi bien dans ce qu'elle interdit que dans ce qu'elle autorise. Le parent incestueux, père ou
mère, c'est celui qui a trop bien compris le sens arbitraire de l'autorité parentale et de ce fait il fait Loi jusque sur le
corps. Il a compris Freud sans jamais le lire. Il a compris que seule la gêne à l'idée que l'enfant soit sexuellement
accessible, fait croire à l'adulte que l'interdit de l'inceste appartient à une sphère morale qui s'impose de tous temps à
lui. Le parent incestueux a malheureusement la lucidité de comprendre que c'est lui seul qui pose l'interdit de
l'inceste à son enfant, dès lors, la conscience d'être source de la Loi entraîne à la jubilation de son exercice.
L'exercice de ce pouvoir ne peut avoir lieu que par la négation de toute transcendance imaginaire de l'interdit,
autrement dit par l'autorisation psychologiquement jouissive du désir et des actes.
Le parent incestueux exercera son emprise par son autorité parentale, autorité de la figure paternelle ou maternelle
mais toujours en véhiculant auprès de l'enfant que ce qui le rend désirable, ce qui le rend plus précieux que l'époux
ou l'épouse, c'est qu'il ne peut rien refuser à son parent, qu'il est le prolongement de Loi parentale quelle qu'elle soit.
C'est la conscience chez l'enfant de la subordination à cette toute-puissance parentale, bien loin devant toute morale
sociale qui nierait cette toute-puissance, qui donnera à l'enfant le sentiment d'être important.

Chez le pédophile, ce qui fait qu'on le confond souvent avec le parent incestueux, c'est aussi une
relation d'emprise qui passe par la place éminente, chérie, qu'il donne à l'enfant. Mais il y a une grande différence
pourtant. Il renvoie à l'enfant que l'enfant est irremplaçable pour lui , mais sans la hiérarchie des places, sans la
subordination à sa Loi. Dans la relation sexuelle pédophilique, l'enfant est vécu comme un partenaire et un
partenaire particulier. Il n'est envisagé par le pédophile, ni comme étant à la merci de sa décision d'imposer ou de
lever l'interdit (inceste), ni comme une menace (dans le viol la victime cause l'excitation sexuelle anormalement
vécue comme angoissante) qui doit obligatoirement devenir sa victime pour que cette dernière cesse (....). Ni
menace, ni victime, il est pour le pédophile le plus beau miroir de lui-même. Le pédophile lui offre ce qui pour lui
est la place la plus forte (d'où l'excitation sexuelle), celle de se découvrir lui-même grâce à lui. Il installe l'enfant
dans la plus étroite proximité à lui-même, puisque pour lui, grâce à l'enfant choisi, véritablement élu, il va enfin

s'attacher à lui-même. « L'enfant-rassurant » lui inspire des sentiments qui lui donnent une image désirable de lui-
même (voir article précédent), que les relations sociales et le sexe opposé ne lui donneront jamais.

Si l'on croit qu'un pédophile est autoritaire, soumettant l'enfant par intimidation, on se trompe. On
parle alors de ce que l'on nomme la construction mentale et affective d'un père incestueux, même si il n'a pas
d'enfant (exemple : un prêtre). Le père incestueux ne cherche pas à s'attacher à lui-même par l'enfant, il jubile déjà
d'être Loi, de faire Loi et l'exercice du désir sur l'enfant en est la preuve. A l'inverse le pédophile part de bien plus
loin que le père incestueux. Il construit son rapport à lui, impossible avant dans sa propre petite enfance (voir article
précédent). Il prête à l'enfant devant lui, ce qu'il croit être un désir amoureux pour lui-même, A travers ses
comportements, l'enfant lui parlerait de lui, de qui il est, il l'aimerait, comme nul autre avant. Malgré notre gêne, si
nous comprenons bien cela, nous n'aurons aucun étonnement à entendre l'évidence de ses mots quand il parle de
l'enfant : « il me comprend si bien, nous partageons si bien ce que nous sommes, il est mon miroir af ectif, il est
mon âme » (voir article précédent).
Des traces très dif érentes ?

Un violeur va laisser à sa victime, l'impression, la trace psychique, qu'un autre peut vouloir la
détruire. Du violeur, sa victime peut dire avec assurance : il ne m'aimait pas j'en suis sûr puisqu'il m'a contraint. Sa
souffrance sera alors de tourner en rond sur la cause de cette volonté destructrice : qu'ai-je fait pour susciter ce
désir de me détruire ? C'est l'incompréhension de l'existence de la violence du désir ou de l'impératif désir sans
amour. Pour cette raison, tant que ne lui est pas expliqué la logique du fonctionnement psychique intrinsèque de
son agresseur, la victime se sent la cause.

Le parent incestueux quant à lui, va laisser à son enfant la sensation psychique d'être toujours retenu

dans, prisonnier de, l'intention du parent.

Enfin, le pédophile, va laisser à l'enfant deux traces : d'être un ange déchu, d'avoir perdu la valeur
sacrée qu'il lui avait donnée et le sentiment de lui avoir été déloyal, tel un traître impardonnable, en dénonçant celui
qui l'aime tant.

Conclusion :

Le rapport de la commission qu'est la CIASE est en train d'ouvrir les portes à beaucoup de belles
intentions, et bien sûr inspire à foison les intentions bénévoles d'écoute autant que les intentions d'écoute
psychologique improvisée. C'est pourtant une capacité de compréhension entraînée et éclairée qu'il faudrait
davantage. Les écoutants, bénévoles ou pas, ne peuvent écouter que si ils sont formés aux différentes traces.
Pourquoi ?

Celles du viol contraint devraient être facilement avouables face aux âmes bien pensantes que nous
sommes tous, alors qu'elles ne le sont pas car la victime se sent la seule cause possible. Avons-nous l'ouverture de le
comprendre face à elle ? Celles causées par le parent incestueux le sont encore moins, car elles parlent du dilemme
intérieur entre l'intuition infantile du malsain et l'illégitimité du refus. Celles de la relation pédophilique ne sont pas
plus avouables pour l'enfant (même devenu adulte) face à notre « bon » sens, car elles expriment la peine de la
place unique perdue et le sentiment d'être une mauvaise personne en trahissant ce que le pédophile avait définit
comme un lien de confiance. Nos belles intentions d'écoute vont facilement oublier tout cela, quand spontanément
nous partirons en croisade, devant la victime « écoutée », contre celui qui l'a abusé.

Nous nous focalisons trop souvent uniquement sur le fait que tout a été subi, puisque c'est le plus
simple à comprendre pour nous qui sommes épargnés et pour notre bonne conscience qui peut avoir l'opportunité de
s'indigner contre et d'exprimer son choc à la lecture de la CIASE.
Il n'en demeure pas moins qu'il nous faut exiger de nous bien plus, pour atteindre l'objectif d'écouter ces enfants
devenus adultes. Il faut exiger de nous de comprendre le sens complexe qu'a eu pour eux le type d'agression auquel
ils ont fait face . Quels contenus de message ont-ils reçus. Ce qui a le plus marqué ces personnes ce n'est pas
d'avoir subi, mais les significations dans lesquelles elles sont restées prises. Comment pouvons nous penser
pouvoir les écouter simplement avec notre bonne volonté ? Comment pouvons nous nous estimer pouvoir les
écouter, si nous ne nous préparons pas à leur facilité la parole en sachant ce que nous allons entendre et en acceptant
de comprendre pour la respecter, cette complexité sans jugement ? Car n'oublions pas que, du fait qu'elles ne sont
pas essentiellement marqué par ce qu'elles ont subies mais bien plutôt marquées par la profondeur des significations
que les relations d'abus leur ont fait traversées, les personnes abusées se sentent incomprises en profondeur par
notre indignation rapide devant l'abusé et sentent par cela que l'écoutant rate les traces qu'elles en portent.
Elles sont toujours psychiquement dans une relation avec eux. Si dans l'abus leur souffrance était resserrée autour
du fait incontournable d'avoir subi, alors les traces du passé ne parleraient que de la condamnation de l'autre,
l'agresseur. Or, au contraire, elles sont pour longtemps présentes comme une intrication quantique, un système à
deux, qui s'éternise pour l'abusé.

Par conséquent, en amont, avant de suivre l'élan à offrir une écoute improvisée pour découvrir la
souffrance de l'autre, avant de se précipiter à accueillir les paroles intimes de l'autre, bénévole et professionnel, il est
préférable de chercher à être préparé à comprendre la complexité de ce que cette personne va faire l'effort de
confiance de nous livrer.

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